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Comment trouver la carrière qui vous convient
Tout le monde vous dit de trouver un travail que vous ferez bien, mais personne ne vous explique comment vous y prendre.
Le conseil standard : y penser pendant des semaines et des semaines jusqu’à « découvrir votre talent ». Pour vous aider, les coachs de carrière vous font passer des quiz sur vos intérêts et vos préférences. D’autres vous recommandent de prendre une année sabbatique, de faire beaucoup d’introspection, d’imaginer différentes options et de tâcher de déterminer ce qui vous motive vraiment.
Mais comme nous l’avons vu dans un article antérieur, atteindre un très bon niveau de compétence dans un domaine requiert des dizaines d’années de pratique. Donc, pour l’essentiel, vos aptitudes sont acquises et non « découvertes ». Darwin, Lincoln et Oprah ont tous connu des échecs en début de carrière avant de complètement dominer leurs champs respectifs. On peut lire sur un bulletin scolaire d’Albert Einstein de 1895 : « Il n’arrivera jamais à quoi que ce soit. »
Vous demander « Quels sont mes talents ? » limite inutilement vos options. Tournez plutôt la question ainsi : « Quels talents pourrais-je développer ? »
Au-delà de la question du talent, le problème plus général est que ces méthodes ne sont pas fiables. De nombreuses études montrent que prédire les domaines où vous obtiendrez de bonnes performances, sans pour autant être impossible, n’est pas chose aisée. « Suivre son instinct » fonctionne particulièrement mal, et il s’avère que les tests d’orientation ne font pas beaucoup mieux.
Changez plutôt d’approche et préparez-vous à penser comme un ou une scientifique : renseignez-vous sur les options qui s’offrent à vous et testez-les, tournez votre regard vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur. Nous vous expliquons ci-dessous pourquoi et comment.
Temps de lecture : 25 minutes
En deux mots
- Votre « adéquation personnelle » par rapport à un travail prédit vos chances d’exceller dedans si vous vous investissez.
- L’adéquation personnelle est encore plus importante que ce qu’on croit, car elle joue sur l’impact que vous aurez, votre satisfaction au travail et votre capital professionnel.
- Des études indiquent qu’il est difficile de deviner à l’avance ce dans quoi on va réussir. Passer des tests d’orientation, faire de l’introspection ou « suivre son instinct » sont apparemment des méthodes peu efficaces.
- Adoptez plutôt une pensée scientifique : choisissez quelques options prometteuses (des hypothèses) de carrières qui pourraient bien vous convenir, identifiez vos incertitudes clés vis-à-vis de ces options, puis lancez-vous et enquêtez sur ces incertitudes.
- Cherchez d’abord les moyens les plus simples de tester vos hypothèses pour vous créer une « échelle » de tests. En général, il va s’agir de commencer par parler à des professionnels et professionnelles du métier en question. Par la suite, candidatez à des emplois ou faites en sorte de réaliser de petits projets qui vous feront goûter au travail en lui-même.
- Trouver un travail qui vous corresponde peut prendre des années, et vous n’obtiendrez jamais de certitude absolue. Donc même quand vous commencez un nouveau travail, voyez-le comme un moyen de tester vos hypothèses. Tentez le coup pendant quelques années, puis mettez à jour ces hypothèses.
- En début de carrière, si vous en avez les moyens, il peut être intéressant d’essayer différents parcours de carrière et de viser haut tout en vous préparant à partir si votre expérience n’est que moyennement satisfaisante, plutôt qu’exceptionnelle. C’est plus simple si vous avez soigneusement étudié l’ordre dans lequel vous allez explorer vos options et préparé des plans B solides.
Bien faire votre travail est plus important que vous ne le croyez
Bien sûr, il est important de trouver un travail que vous ferez bien, ce n’est pas un secret. Mais il nous semble que c’est encore plus important que ce que pensent la plupart des gens, surtout en termes d’impact social.
D’abord, les pointures de leur domaine respectif sont responsables d’une part disproportionnée de l’impact social. Une étude de référence sur les performances remarquables a fait la constatation suivante1 :
Quel que soit le secteur, une petite portion de la main-d’œuvre est responsable de la majorité du travail. La plupart du temps, une élite constituée des 10 % les plus prolifiques accomplit environ 50 % de toutes les contributions tandis que les 50 % les moins efficaces ne produisent que 15 % de la masse totale de travail, et la personne qui contribue le plus est en général environ 100 fois plus prolifique que celle qui contribue le moins.
Une représentation graphique du succès ressemblerait donc à ça :
On retrouve la même croissance exponentielle qu’on a déjà observée dans de nombreux graphiques depuis le début de ce guide.
Dans l’article sur les métiers à fort impact, nous avons vu cette disproportion dans des domaines comme le plaidoyer et la recherche. Dans cette dernière, par exemple, le top 0,1 % des articles est 1 000 fois plus cité que la médiane.
Ce sont des secteurs où les résultats sont particulièrement asymétriques, mais notre analyse des données suggère que dans tous les domaines ou presque, les personnes les plus performantes ont beaucoup plus d’impact que la normale. Plus le domaine est complexe, plus le phénomène est marqué : cela s’observe ainsi particulièrement dans la recherche, le développement logiciel et l’entrepreneuriat.
Bien sûr, une partie de cette asymétrie est une question de hasard : même si tout le monde avait la même adéquation personnelle pour le domaine, on observerait quand même de grandes disparités de résultats du simple fait que certaines personnes auraient plus de chance que d’autres. Mais il est presque certain que la compétence joue aussi. Vous aurez donc beaucoup plus d’impact si vous choisissez un travail qui vous plaît et vous convient bien.
Deuxièmement, comme nous l’avons déjà soulevé, avoir du succès dans votre domaine améliore votre capital professionnel. Rien de révolutionnaire dans cette idée, mais c’est peut-être plus crucial encore que vous ne le pensez. De manière générale, avoir la réputation de quelqu’un qui « fait le taf » et qui se débrouille bien dans son travail peut vous ouvrir toutes sortes d’opportunités, souvent surprenantes.
Par exemple, de nombreuses organisations peuvent embaucher quelqu’un sans expérience dans un domaine si la recrue en question s’est déjà illustrée ailleurs (par exemple, de nombreuses entreprises d’IA ont accepté des candidats et candidates qui n’avaient jamais travaillé dans l’IA auparavant). Les conseils d’administration d’entreprises et d’associations sont souvent composés d’individus ayant eu beaucoup de succès dans des domaines très différents de celui de l’organisme en question. Peut-être aussi que vous rencontrerez quelqu’un qui ne travaille pas du tout dans votre secteur, qui admirera votre compétence et voudra vous débaucher. (Bref : défoncez tout. Écoutez notre podcast avec Holden Karnofsky pour une ode complète à cette stratégie.)
De plus, avoir du succès, quel que soit le domaine – même un peu étonnant –, vous donne de l’influence, de l’argent et du réseau, ce qui, comme nous l’avons également déjà vu, peut être employé pour promouvoir toutes sortes de causes, même sans lien avec votre champ.
Enfin, de bonnes performances et une sensation d’expertise dans votre domaine sont des composantes essentielles de votre satisfaction au travail. Nous l’avons vu dans le premier article.
C’est pour toutes ces raisons que l’adéquation personnelle est l’un des facteurs à rechercher en priorité dans un travail. Nous voyons « l’adéquation personnelle » comme vos chances d’exceller à un travail, si vous mettez la main à la pâte.
Voici une expression mathématique du « job de rêve » qui reprend tout ce que nous avons vu dans le guide jusqu’ici :
Remplir les différentes cases peut vous permettre de réaliser des comparatifs d’options de carrières (pour en savoir plus, consultez cet article indépendant du guide).
L’adéquation personnelle agit en multiplicateur de tout le reste : elle est donc probablement plus importante que les trois autres facteurs. Nous ne vous recommanderions donc jamais d’accepter un travail « à fort impact » que vous ne feriez pas bien. Mais comment savoir avec quel domaine vous aurez la meilleure adéquation personnelle ?
Si tout va bien, à la suite de votre lecture des précédents articles du guide, vous avez quelques grandes idées de carrières à long terme. Nous allons maintenant voir comment faire le tri dans tout cela et trouver la voie qui vous convient.
(Aparté : si vous vous coordonnez avec une communauté dans votre recherche d’impact professionnel, alors votre avantage comparatif par rapport aux autres membres de cette communauté est également un paramètre important. Voir ici pour en savoir plus.)
Pourquoi l’introspection, l’instinct et les tests d’orientation ne fonctionnent pas
Il est difficile de prédire des performances futures
Quand on se pose la question de son choix de carrière, le premier réflexe est souvent de chercher la réponse en soi plutôt qu’en dehors de soi : de « suivre son instinct », ou son cœur.
Nous conseillons régulièrement des personnes qui passent des jours à se torturer l’esprit à la recherche de leurs options sans bouger de leur fauteuil, souvent via de l’introspection.
C’est partir du principe qu’il est facile de deviner à l’avance si on aura un bon niveau dans ceci ou cela. En réalité, c’est tout le contraire.
Voici la meilleure étude sur laquelle nous avons pu mettre la main jusqu’ici sur les prévisions des performances à venir (à l’échelle de quelques années) dans différents emplois. C’est une méta-analyse de tests de sélection utilisés dans les recrutements qui regroupe des centaines d’études réalisées depuis plus de cent ans2. Voici quelques-uns des résultats :
Presque tous ces tests ne sont pas extrêmement prédictifs. La meilleure corrélation est à 0,6, ce qui n’explique pas entièrement la performance au travail. Et la précision de ces prédictions à plus long terme diminue sans doute3. Même si vous vous servez des techniques les plus précises que vous ayez à votre disposition, vous pouvez vous tromper de temps en temps : les profils qui semblaient les plus prometteurs peuvent se révéler moins performants que prévu, et inversement.
Quiconque a déjà mené un recrutement vous confirmera avoir eu exactement cette expérience (et c’est une intuition appuyée par la recherche4). Or, embaucher coûte très cher, et les entreprises ont donc particulièrement intérêt à mettre la main sur les meilleures recrues. De plus, elles savent exactement en quoi consiste le travail demandé - alors si même elles ont un mal fou à identifier à l’avance qui va mieux s’en sortir, vos chances à vous de toucher juste ne sont pas mirobolantes.
Ne faites pas confiance à votre instinct
Et même à supposer que vous tentiez le coup et essayiez de prédire vos performances futures, « suivre votre instinct » ne serait pas la meilleure façon de le faire. Les recherches menées depuis des dizaines d’années dans la science de la prise de décision montrent que l’intuition ne fonctionne que dans certaines circonstances.
Par exemple, votre instinct vous indique très rapidement que la personne qui vous fait face est en colère contre vous : le cerveau est câblé biologiquement pour vous avertir instantanément en cas de danger et vous aider à vous intégrer à la société.
Votre instinct peut aussi être d’une précision redoutable lorsqu’il a reçu l’entraînement adéquat. Les échéquistes de haut niveau peuvent deviner quels seront les meilleurs mouvements avec une acuité remarquable, et ce parce que leur intuition a été entraînée par de très nombreuses parties similaires, qui leur ont permis de se construire un sentiment général de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas.
En revanche, l’instinct est très mauvais quand il s’agit d’essayer d’évaluer la croissance à venir d’une entreprise, l’issue d’un match de football ou les résultats scolaires d’un individu. Nous avons aussi vu dans un article précédent que nous avons une mauvaise intuition pour ce qui est d’identifier ce qui fait notre bonheur. En effet, notre instinct se trompe beaucoup quand il manque d’entraînement, et c’est très compliqué de l’habituer à faire mieux dans ces situations.
Un choix de carrière est beaucoup plus proche de ces exemples que de celui de l’échéquiste de haut niveau.
Il est difficile d’entraîner son instinct quand :
- Les résultats de nos décisions mettent longtemps à arriver ;
- On a peu d’occasions de pratiquer ;
- La situation est en constante évolution.
Et c’est exactement ce qui se passe quand on envisage une profession future : on ne prend pas énormément de décisions professionnelles majeures dans la vie, on n’en voit pas les conséquences avant des années et le marché de l’emploi se renouvelle sans cesse.
Bien sûr, votre instinct peut malgré tout vous donner des indices sur la meilleure carrière à envisager. Il peut vous dire « Je ne fais pas confiance à cette personne » ou « Ce projet ne m’inspire pas ». Mais vous ne pouvez pas vous reposer entièrement sur lui.
(Pour aller plus loin, voir notre analyse des données.)
Pourquoi les tests d’orientation ne fonctionnent pas non plus
Beaucoup de tests d’orientation sont fondés sur les types RIASEC (créés par Holland) ou sur d’autres modèles similaires, qui vous identifient à un de 6 types d’intérêts professionnels, comme « artistique » ou « entreprenant », puis vous recommandent des carrières qui correspondent à ce type d’intérêt. Or, on voit au tableau ci-dessus que « l’adéquation vocationnelle » affiche une corrélation modérée avec la performance. Idem par rapport à la satisfaction au travail : les corrélations observées par les études sont de l’ordre de 0,1 à 0,3. D’où le peu d’attention prêté aux tests d’orientation traditionnels dans ce guide.
Mais alors, qu’est-ce qui fonctionne pour prédire les performances futures, selon la recherche ?
Dans le tableau ci-dessus, les entretiens sont en tête de classement. Ceci suggère qu’une bonne méthode serait de parler à des gens qui ont l’habitude de recruter dans la branche que vous visez pour leur demander comment vous vous positionneriez par rapport à d’autres candidats et candidates. Ça paraît logique : des spécialistes ont a priori le nez fin pour ce genre de jugements.
La triade stages et périodes d’essai / tests de connaissances professionnelles / cas pratique s’en sort bien également, ce qui suggère une autre stratégie intuitive : essayer de s’approcher autant que possible de la réalité du travail et voir ce que ça donne.
Bien que ce soient les tests de QI qui affichent la plus haute corrélation, ils ne vous seront pas très utiles pour déterminer avec quel travail en particulier vous avez la meilleure adéquation personnelle (et ce sans même parler de ce que mesurent réellement les tests de QI !).
Ceci étant dit, n’oubliez pas qu’aucune de ces stratégies n’est parfaite. Estimer dans quels domaines vous allez exceller ou non à l’avenir, c’est tout simplement difficile. Donc gardez l’esprit ouvert et laissez-vous le bénéfice du doute – vous avez sans doute plus d’options que vous ne le croyez !
Au bout du compte, la seule manière de savoir, c’est de faire le grand saut et de tester différentes voies.
Comment trouver un travail qui vous convient ? Utilisez une approche scientifique
Puisque prédire dans quel domaine vous excellerez est difficile et que suivre votre intuition ne fonctionnera pas, il faut adopter une approche empirique :
- Listez quelques options prometteuses (des hypothèses) de carrières qui pourraient vous convenir.
- Identifiez vos incertitudes clés vis-à-vis de ces hypothèses.
- Lancez-vous et enquêtez sur ces incertitudes.
Et même une fois que votre travail d’enquête est terminé et que vous décrochez un poste, c’est en réalité le début d’une nouvelle expérience. Une fois que vous avez deux ou trois ans de travail derrière vous, réévaluez vos hypothèses, et recommencez.
Vous ne saurez pas instantanément quelle est la bonne carrière pour vous. C’est un processus d’étapes multiples qui vous permettent d’affiner vos réponses petit à petit.
Voici quelques conseils pour chaque phase.
Établissez une longue liste d’options
Accidentellement rayer de la liste une option très intéressante étant beaucoup plus dommageable que de perdre du temps à enquêter dessus, il est important de commencer large.
Et comme il est difficile de prédire dans quels domaines vous pourriez exceller, beaucoup d’options ne s’éliminent pas si aisément !
Cette précaution peut également vous prémunir contre un des biais les plus courants dans la prise de décision : envisager trop peu d’options. Nous avons vu beaucoup de personnes atterrir dans des doctorats ou des études de médecine ou de droit parce que c’était ce qui leur semblait être le choix par défaut à l’époque – si elles avaient élargi leurs horizons, elles auraient facilement pu trouver un parcours qui leur aurait mieux convenu.
Nous rencontrons également de nombreuses personnes qui pensent devoir absolument rester proches de leurs expériences récentes, en cherchant un emploi en lien avec la biologie si elles ont fait des études de biologie, par exemple. Mais l’intitulé de votre diplôme est rarement si important que ça.
Donc, commencez par rédiger une longue liste d’options – plus longue que vous ne l’auriez imaginé d’instinct. Nous vous expliquons plus en détail comment procéder dans notre article sur la planification professionnelle.
Identifiez vos incertitudes clés
Vous n’avez pas le temps d’essayer ou d’étudier en détail chaque option de carrière : vous devez élaguer.
Commencez par des estimations approximatives : classez vos options selon votre adéquation personnelle avec elles, leur impact et les conditions qu’elles vous offrent en termes de satisfaction au travail (et selon le capital professionnel qu’elles vous aideront à développer si vous comparez des étapes à venir plutôt que des parcours à long terme).
Ensuite, demandez-vous : « Quelles sont mes plus grandes incertitudes quant à ce classement ? »
En d’autres termes, si vous pouviez poser un nombre limité de questions, lesquelles choisiriez-vous pour vous aider à déterminer quelle option devrait être en tête du classement ?
D’expérience, les questions les plus importantes sont souvent assez simples. Par exemple :
- Est-ce que j’obtiendrais le poste si je présentais ma candidature ?
- Est-ce que j’apprécierais tel ou tel aspect de ce travail ?
- Le salaire me permettrait-il de vivre confortablement ?
- À quoi ressemble une journée de travail type ?
- Est-ce que ce travail est compatible avec mes objectifs personnels de vie (comme des impératifs familiaux ou avoir des enfants) ?
Nous vous présentons ci-dessous davantage de conseils pour vous aider à prédire votre adéquation personnelle avec un domaine.
Commencez par le plus économique
Maintenant que vous avez votre liste d’incertitudes, essayez de les résoudre !
Commencez par les moyens les plus simples et les plus rapides d’obtenir des informations.
Nous rencontrons souvent des individus qui veulent, mettons, essayer l’économie, et qui décident donc de se lancer dans un master. Mais il s’agit là d’un investissement considérable. Réfléchissez plutôt à la manière dont vous pouvez en apprendre davantage avec le moins d’efforts possible – grâce à des tests « peu coûteux ».
Demandez-vous, en particulier, ce qui pourrait vous pousser à éliminer votre option no 1. Ou encore, réfléchissez à quelle information qui vous manque actuellement serait susceptible de vous faire réévaluer complètement votre tête de classement.
Quand vous étudiez une option spécifique, vous pouvez établir une « échelle » de tests.
À chaque étape, demandez-vous si le parcours vous semble toujours prometteur ou si vous pouvez ignorer les étapes restantes et passer à l’option suivante.
Voici à quoi pourrait ressembler une de ces « échelles » :
- Lire nos analyses de carrières qui correspondent au domaine en question, toutes nos recherches sur un sujet donné, et effectuer quelques recherches Google pour apprendre les bases (1 à 2 heures).
- Échanger avec quelqu’un du milieu (2 heures).
- Parler avec trois personnes supplémentaires issues du même milieu et lire un livre ou deux (20 heures).
- Envisager le recours à certaines méthodes supplémentaires qui prédisent la réussite, listées ci-dessous.
- En fonction de vos résultats lors des étapes précédentes, rechercher un projet pertinent qui nécessiterait peut-être 1 à 4 semaines de travail, par exemple, envoyer des candidatures, faire du bénévolat dans un rôle similaire ou réaliser un projet en lien avec le domaine, pour évaluer comment ça se passe et comment vous vous débrouillez.
- Enfin, et seulement après les étapes précédentes, envisagez de vous engager pour 2 à 24 mois – via par exemple un stage long ou une poursuite d’études supérieures. Se voir offrir un contrat court pour quelques mois peut être idéal, car vous, comme l’organisation en question, souhaitez évaluer rapidement votre adéquation avec le poste.
Si vous étiez seulement à la recherche d’un bon restaurant, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Mais une décision de carrière étant susceptible d’influencer des décennies de votre vie, consacrer plusieurs semaines ou mois de travail à ces recherches pour s’assurer de faire le bon choix peut facilement en valoir la peine.
Testez une option (et recommencez)
Vous n’identifierez jamais avec une certitude absolue votre meilleure option, et pire encore, vous risquez de ne jamais avoir une confiance forte dans votre meilleur choix.
Dans ces conditions, quand arrêter ses recherches et se lancer dans une voie ?
Il y a une réponse simple : quand votre option no 1 se maintient.
Si vous continuez de vous renseigner mais que vos réponses ont cessé d’évoluer, il est probable que vous ayez dépassé le seuil de rendement décroissant et qu’il soit temps de tenter le coup.
À noter que, bien sûr, certaines décisions sont plus difficiles à annuler ou ont davantage d’enjeux que d’autres (faire médecine, par exemple). Donc, toutes choses égales par ailleurs, plus votre décision est importante, plus vous allez devoir passer du temps à enquêter, et plus vous aurez intérêt à ce que vos réponses soient stables.
Une fois que vous avez fait le grand saut et commencez à travailler, c’est toujours utile de se rappeler que même ça, c’est seulement une expérimentation. La plupart du temps, si vous essayez un parcours pendant deux ou trois ans et qu’il s’avère qu’il ne vous convient pas, vous pouvez tenter votre chance ailleurs.
À chaque étape, vous en apprendrez davantage sur ce qui vous convient le mieux.
Nos analyses de carrières individuelles vous présentent des conseils supplémentaires pour évaluer votre adéquation à un métier spécifique, y compris une fois que vous avez déjà commencé à vous engager dans la voie en question.
Avancé : quelles sont les meilleures façons de prédire votre adéquation avec une carrière, d’après la recherche ?
Notre principal conseil est de définir vos incertitudes et d’enquêter pour les résoudre, en collectant les indices qui vous semblent les plus utiles.
Mais il est également vrai que, d’après la recherche et notre propre expérience, certaines approches sont meilleures que d’autres pour évaluer l’adéquation personnelle.
Vous pouvez vous poser les questions ci-dessous pour mieux cibler vos recherches d’informations et pour affiner vos hypothèses privilégiées avant de vous lancer dans des recherches poussées.
- À quoi ressemble vraiment ce travail ? Nous rencontrons régulièrement des personnes qui spéculent au sujet de leur adéquation avec, mettons, un travail au gouvernement, mais sans vraiment savoir en quoi consiste le travail de fonctionnaire d’État. Avant d’aller plus loin, assurez-vous d’avoir les bases : pouvez-vous décrire à quoi ressemble une journée type ? Quelles sont les tâches qui créent de la valeur dans ce métier ? Comment bien les faire ?
- Que disent les spécialistes ? Si possible, demandez à des personnes qui ont de l’expérience dans le domaine – et surtout qui ont l’habitude de recruter pour le travail en question – comment vous vous en sortiriez. Mais attention, n’accordez pas trop de poids à une seule opinion ! Et essayez de trouver des interlocutrices et interlocuteurs qui seront honnêtes avec vous.
- Qu’est-ce qui a fonctionné pour vous jusqu’ici5 ? Une méthode simple pour prédire votre succès est de faire le bilan de vos performances passées et de les projeter sur l’avenir. Si vous vous en sortez bien dans un parcours, c’est en général une bonne raison de continuer. Grâce à ces performances passées, vous pouvez aussi estimer vos chances de réussite avec plus de précision. Par exemple, si vous commencez un master orienté vers la recherche, la moitié supérieure de votre promotion environ poursuivra une carrière dans le monde universitaire, donc, si vous êtes dans le premier quart de votre classe, vous pouvez supposer que vous serez dans la première moitié des universitaires6. Pour une meilleure perception de votre potentiel à long terme, essayez de jauger votre taux d’amélioration et pas seulement vos performances récentes7.
- Qu’est-ce qui fait le succès dans ce domaine, et comment vous classez-vous par rapport aux autres ? Vos réponses aux questions 1 à 3 vous donnent un point de départ, mais vous pouvez ensuite réévaluer l’option en question à la hausse ou à la baisse en fonction de facteurs spécifiques susceptibles d’augmenter ou de diminuer vos chances de succès. L’objectif est de formuler un modèle de ce qui est nécessaire pour réussir. Pour ce faire, vous pouvez demander à des personnes du milieu quels sont les besoins principaux et essayer de comprendre ce qui fait le succès ou l’échec dans le domaine. Ensuite, évaluez-vous par rapport à ces prédicteurs. C’est comme ça que fonctionnent les (bons) entretiens d’embauche : l’équipe recruteuse tâche d’identifier ce qui est le plus important pour le travail visé, puis vous demande de démontrer que vous avez manifesté ces caractéristiques par le passé.
- Ce travail correspond-il à vos points forts ? Une bonne façon de déceler vos atouts est d’identifier des activités que vous ne ressentez pas comme du travail alors que la majorité de la population si. Vous trouverez ici un processus fondé sur des données probantes pour évaluer vos points forts.
- Vous enthousiasme-t-il ? Une sensation d’exaltation n’est pas un prédicteur de succès fiable, mais sans un minimum de motivation, vous aurez sans doute du mal à faire les efforts nécessaires à de bonnes performances. Un manque d’enthousiasme devrait donc vous inciter à prendre un moment pour réfléchir et vous demander ce qui vous semble si peu inspirant.
- Allez-vous l’apprécier ? C’est important même si vous voulez maximiser votre impact social avant tout : pour réellement faire une différence, quelle que soit la carrière de votre choix, vous allez devoir vous y tenir un certain temps, et il faudra donc que le parcours sélectionné soit raisonnablement agréable et s’intègre au reste de votre vie. Par exemple, si vous voulez avoir une famille, vous allez sans doute devoir éviter les métiers à horaires interminables.
- Que donne le cumul de toutes ces perspectives ? Prédire le succès d’une carrière, c’est difficile, et il n’y a pas une seule approche vraiment fiable. N’hésitez donc pas à prendre en compte toutes les questions précédentes pour pouvoir cibler des options qui semblent intéressantes sous plusieurs aspects.
Nos analyses de carrières individuelles vous présentent des conseils supplémentaires pour évaluer votre adéquation vis-à-vis d’un métier spécifique.
Faire des prévisions judicieuses, de manière générale, c’est toujours difficile. Mais c’est aussi très utile si votre but est d’avoir un impact positif. Nous avons donc rédigé un article pour vous aider à améliorer votre prise de décisions et vos estimations concernant l’avenir.
Quelle part de sa carrière réserver à l’exploration ?
Imaginons que vous avez essayé un travail pendant quelques années. Vous devez maintenant faire un choix : rester là où vous êtes ou partir en espérant trouver mieux ailleurs.
De nombreuses personnes ayant eu du succès ont beaucoup exploré en début de carrière. Tony Blair était promoteur dans le rock avant de se reconvertir dans la politique, et Maya Angelou a été conductrice de tramway, cuisinière et danseuse de calypso avant de bifurquer vers l’écriture et l’activisme. Steve Jobs a passé toute une année sous acide en Inde et a envisagé de partir au Japon pour devenir moine zen. Ça, c’est de l’exploration.
Les exemples de spécialisations précoces, comme celle de Tiger Woods, font toujours forte impression sur nous, mais se spécialiser très tôt ne semble pas être une condition sine qua non du succès et n’est sans doute même pas la norme. Dans son livre Range : Le règne des généralistes : Pourquoi ils triomphent dans un monde de spécialistes, David Epstein affirme que la majorité de la population passe par plusieurs voies professionnelles, et que les athlètes qui s’essaient à différents sports avant de s’arrêter sur une discipline en particulier ont tendance à avoir plus de succès. Il présente à ce titre Roger Federer comme le pendant de Tiger.
Une étude publiée dans Nature en 2018 a constaté que les périodes pendant lesquelles les personnes dans des professions créatives et scientifiques réussissent le mieux avaient tendance à être précédées par des périodes d’exploration de différents domaines.
Et aujourd’hui, les changements de secteur et de poste au cours d’une vie sont largement acceptés. Entre 25 et 34 ans, on passe d’un travail à un autre tous les 3 ans en moyenne8, et ce n’est pas rare non plus de le faire plus tard.
De plus, si l’adéquation personnelle est un paramètre aussi crucial que nous l’avons dit plus tôt, passer de nombreuses années à trouver le travail qui vous convient le mieux en vaut sans doute la peine.
Mais, bien sûr, l’exploration est coûteuse. Changer de carrière peut prendre des années, et passer par ce processus trop souvent peut vous donner l’air instable. Sans compter qu’il peut être difficile de revenir à certains domaines après les avoir quittés.
D’après Steve Jobs, il ne faut « jamais se fixer ». Mais ce n’est pas un conseil réaliste. La vraie question, c’est comment trouver un bon équilibre entre les coûts de l’exploration et ses avantages.
Heureusement, il y a eu beaucoup de recherches en théorie de la décision, en informatique et en psychologie autour de cette question. Par exemple, nous avons interviewé Brian Christian, auteur de Penser en algorithmes : Comment de simples stratégies inspirées de l’informatique peuvent transformer votre vie, sur la synthèse de ses recherches, et y avons consacré un article entier de notre série avancée.
Voilà quelques-uns des grands principes.
Explorez davantage quand vous êtes jeune
Tout le monde est d’accord : plus vous êtes proche du début de votre carrière, plus vous devez en profiter pour voir de nouvelles choses.
En effet, plus vous découvrez une meilleure option tôt, plus il vous reste de temps pour en profiter.
Si vous tombez sur une nouvelle carrière extraordinaire à 66 ans et prenez votre retraite à 67, elle ne vous aura bénéficié que pendant 12 mois. Mais si vous trouvez une option intéressante à 25 ans, vous avez encore des décennies devant vous pour en profiter.
De plus, jeune, vous en savez encore relativement peu sur vos points forts et sur les options auxquelles vous pouvez avoir accès, et découvrir de nouvelles choses peut donc vous en apprendre beaucoup.
D’ailleurs, la structure de la société rendant l’exploration plus simple pour les jeunes – beaucoup de stages ne sont accessibles qu’à des étudiantes et étudiants, par exemple –, tenter différentes voies vous sera également moins coûteux à cette période de votre vie.
Envisagez d’expérimenter plusieurs parcours (dans un ordre bien choisi)
Une stratégie d’exploration consiste à tenter plusieurs carrières avant de finir par se décider pour celle qui semble être la meilleure. C’est similaire à la solution du « problème des secrétaires » – nommé anachroniquement – en informatique théorique, dont l’objectif est d’optimiser le temps passé à chercher le meilleur profil à embaucher parmi un groupe de candidats et candidates.
C’est particulièrement adapté avant la fin de vos études ou dans vos premiers emplois, c’est-à-dire quand l’exploration est le plus facile à faire, qu’elle vous donne le plus de nouvelles informations et que vos incertitudes sont le plus élevées.
Le principal inconvénient de cette stratégie est que tester plusieurs parcours présente certains coûts. Cependant, il est souvent possible de les réduire de façon significative en préparant avec soin l’ordre des options à essayer. Par exemple, vous pouvez déjà tenter un nombre de voies étonnamment élevé entre la licence et le master, pendant les vacances d’été ou bien en priorisant les options les plus facilement réversibles.
Ci-dessous, davantage de détails quant à cet ordre idéal :
1. Explorez avant le master et le doctorat plutôt qu’après (et placez en premier les autres options réversibles)
Dans les années qui suivent directement votre premier diplôme d’études supérieures, personne ne s’attend à ce que vous trouviez votre voie tout de suite ; en général, vous avez un peu de mou pour tenter quelque chose de légèrement original, comme créer une entreprise, partir vivre à l’étranger ou travailler dans un organisme à but non lucratif.
Si ça ne se passe pas bien, vous pouvez vous servir de votre poursuite d’études comme d’une « remise à zéro » : finir une licence, poursuivre en master, en MBA ou en doctorat, ce qui vous permettra de revenir à un parcours plus standard.
Nous voyons de nombreuses personnes se dépêcher de finir leurs études ou passer par d’autres options conventionnelles, et donc rater une de leurs plus belles occasions d’explorer.
En particulier, mieux vaut passer en mode découverte avant un doctorat qu’après, car il est difficile de quitter le monde universitaire : vous passerez post-doc, puis vous vous dirigerez vers un poste permanent – vous aurez du mal à réussir sans vous concentrer à 100 % sur la recherche. Donc, s’il vous reste des doutes quant à une potentielle carrière universitaire, essayez autant que possible les autres options qui vous intéressent avant votre doctorat.
De la même façon, passer d’une entreprise à un organisme à but non lucratif étant plus facile que l’inverse, si vous hésitez entre les deux, commencez par l’option en entreprise.
2. Ciblez les options qui vous permettent d’expérimenter
Une autre approche consiste à choisir un emploi qui vous donne la possibilité d’essayer plusieurs domaines :
- soit en vous permettant de travailler dans des secteurs variés (le travail freelance et le consulting sont particulièrement intéressants à ce titre) ;
- soit en vous faisant pratiquer des compétences très diverses (les postes dans les petites entreprises sont souvent très polyvalents) ;
- soit en vous laissant le temps libre et l’énergie de découvrir de nouvelles choses en dehors du travail.
3. Essayez autre chose en parallèle
Si vous êtes déjà en poste, cherchez comment vous pourriez tester une nouvelle option à côté, par exemple avec un projet court mais pertinent que vous pourriez mener sur votre temps libre ou dans le cadre de votre travail actuel.
Si vous faites des études, tâchez de faire autant de stages et de projets d’été que possible. Vos vacances universitaires font partie des meilleures opportunités d’explorer auxquelles vous aurez accès dans votre vie.
4. Évitez le sur-place
L’un des inconvénients des stratégies ci-dessus est que votre meilleure voie pourrait bien être quelque chose à quoi vous n’avez pas encore pensé.
C’est pour cette raison qu’en informatique, beaucoup d’algorithmes d’exploration incluent un élément de hasard – un mouvement aléatoire qui aide à empêcher de se bloquer dans un « optimum local ». Nous ne vous recommandons pas de choisir les yeux complètement fermés, mais le fait que même un algorithme informatique trouve le hasard utile montre bien qu’il y a un intérêt à essayer quelque chose de très différent.
Ce principe peut se traduire de plusieurs manières : tenter une expérience qui n’a rien à voir avec ce dont vous avez l’habitude, comme partir vivre dans une culture très différente de la vôtre ou vous impliquer dans diverses communautés, ou bien tester des secteurs différents de ceux que vous connaissez déjà (entre organisme à but non lucratif, gouvernement et entreprise, par exemple).
Par exemple, je (moi, Benjamin) suis allé étudier la langue chinoise en Chine avant la fac. Je n’avais pas de débouchés précis en tête, mais j’avais la sensation d’avoir beaucoup appris de l’expérience, et tout ça s’est avéré utile quand, plus tard, j’ai travaillé à la création de nos ressources pour la coordination Chine-Occident sur les technologies émergentes.
Jess : l’exploration, une étude de cas
Voici un exemple de la vraie vie : à la fin de ses cursus en mathématiques et en philosophie, Jess envisageait une carrière universitaire, notamment via l’étude de la philosophie de l’esprit, mais craignait de ne pas avoir assez d’impact dans une telle voie.
« 80,000 Hours a littéralement révolutionné ma façon de voir ma carrière. »
Lire l’histoire de Jess
Donc, l’année qui a suivi son diplôme, elle a passé quelques mois à travailler dans la finance. Elle ne pensait pas apprécier, et, l’expérience lui ayant donné raison, elle a pu éliminer cette option avec confiance. Pendant quelques mois, elle a également travaillé dans des organismes à but non lucratif et lu des ressources concernant différents domaines de recherche.
Mais, plus important, elle a discuté avec énormément de personnes, surtout dans les domaines universitaires qui l’intéressaient le plus. Tout ceci l’a amenée à avoir l’opportunité de faire un doctorat en psychologie axé sur les moyens d’améliorer la prise de décision des responsables politiques.
Pendant ce doctorat, elle a fait un stage à un think tank spécialisé dans la gouvernance basée sur des preuves et a commencé à écrire des articles de psychologie pour un journal en ligne. Ces expériences lui ont permis d’explorer l’aspect « intellectuelle publique » de sa carrière universitaire ainsi que l’option d’une entrée en politique.
À la fin de son doctorat, elle aurait pu continuer son chemin à l’université ou bifurquer vers la gouvernance ou l’écriture. Elle aurait également pu retourner dans la finance ou le non-lucratif. Mais surtout, elle avait une bien meilleure vue d’ensemble de ses options et de leur pertinence.
Viser la lune est parfois une stratégie rationnelle
On dit souvent aux jeunes de « rêver grand », de « faire preuve d’ambition » ou de « viser la lune ». Est-ce un conseil pertinent ?
Pas toujours. Lors d’un sondage, plus de 75 % des basketteurs universitaires masculins de Division I ont déclaré avoir des chances de pouvoir passer pros, mais 2 % seulement ont réussi. Indépendamment de l’exactitude ou non de leur prévision, les joueurs interrogés ont surestimé leurs chances de succès… de plus de 37 fois.
Dire de viser haut à quelqu’un qui affiche déjà une confiance excessive dans sa réussite potentielle n’est pas vraiment judicieux.
Mais pour quelqu’un qui a davantage les pieds sur terre, souvent, c’est effectivement un bon conseil.
Imaginons que vous hésitiez entre deux options :
- Travailler dans le développement logiciel afin de gagner pour donner.
- Faire de la recherche dans la sûreté de l’IA.
Mettons que vous estimiez que vos chances de réussite dans la recherche sont relativement basses. Vous auriez donc très probablement davantage d’impact en gagnant pour donner. Mais, si vos efforts dans la première voie étaient finalement couronnés de succès, c’est celle-ci qui aurait beaucoup plus d’impact.
Si vous n’aviez pas le droit à l’erreur, le parcours « gagner pour donner » serait le meilleur choix.
Mais en général, ce n’est pas comme ça que le monde fonctionne. Si vous tentez la recherche et que c’est un échec, vous pourrez très probablement revenir à l’option de gagner pour donner. En revanche, si c’est une réussite, vous serez dans un parcours à fort impact pour le reste de votre vie.
En d’autres termes, il y a une asymétrie. Si vous pouvez encaisser le risque de l’échec, mieux vaut donc commencer par la recherche.
De façon plus générale, ce sont souvent les parcours qui ont un potentiel considérable mais vis-à-vis desquels vous avez le plus d’incertitudes – les paris risqués – qui peuvent vous en apprendre le plus.
Dans ce sens-là, le conseil de viser la lune est particulièrement adapté, surtout si vous êtes jeune.
Une version plus agressive de cette stratégie consiste à classer vos options en fonction de leurs bénéfices potentiels – plus précisément, en fonction de l’impact que vous auriez si ces expériences se passaient particulièrement bien (disons, dans les 10 % des scénarios les plus optimistes) – puis de commencer par le no 1. Si vous constatez que vous n’allez pas réussir à atteindre le scénario optimiste au bout du délai que vous vous êtes fixé, essayez le prochain, et ainsi de suite.
C’est une méthode qui, en général, ne fonctionne que si vous avez des plans B solides et que vous êtes dans une position suffisamment confortable pour pouvoir tenter beaucoup de choses.
Une version plus modérée de cette stratégie est d’y avoir recours pour départager deux options : si vous ne savez vraiment pas laquelle choisir, tranchez en faveur de celle dont le bénéfice potentiel est le plus important.
(Quand faut-il faire preuve de plus d’ambition ? Consultez cet article de notre série avancée.)
Dans le doute, démissionnez
Le biais des coûts irrécupérables est la tendance à poursuivre dans une voie qui n’est plus pertinente seulement parce qu’on a déjà engagé des frais. Nous pensons qu’il a tendance à conduire les gens à :
- Rester trop longtemps dans la même voie ;
- Tenter d’éviter les coûts à court terme d’une reconversion ;
- Être frileux à l’idée de se lancer dans une option nouvelle inconnue.
Ce qui suggère que si vous hésitez à lâcher votre emploi, c’est probablement ce que vous devriez faire.
C’est exactement ce qu’a constaté une étude randomisée qui a eu beaucoup d’influence. Steven Levitt a recruté des dizaines de milliers de participants et participantes qui envisageaient un grand changement dans leur vie mais hésitaient beaucoup à se lancer. Après avoir prodigué des conseils sur la prise de décisions difficiles, il a proposé aux personnes qui restaient totalement indécises de tirer l’issue du dilemme à pile ou face. 22 500 individus ont choisi cette voie.
Levitt les a recontactés 2 et 6 mois plus tard pour leur demander s’ils avaient finalement opéré la transformation envisagée et comment ils évalueraient leur bonheur sur une échelle de 1 à 10. Il s’est avéré que les personnes qui avaient opté pour le changement sur une question importante avaient gagné 2,2 points de bonheur !
Bien sûr, ce n’est qu’une seule étude, et nous ne trouverions pas surprenant que l’effet constaté soit moins important en cas de reproduction. Mais c’est cohérent avec nos hypothèses.
Appliquer ces idées à votre propre carrière
Au fil des articles précédents, vous avez en théorie fait une liste d’idées de carrières à viser à long terme.
Vous pouvez désormais commencer à faire le tri.
- Estimez vaguement quels parcours vous semblent les plus prometteurs en combinant des critères d’impact, d’adéquation personnelle et de satisfaction au travail.
- Quelles sont vos incertitudes majeures vis-à-vis de ce classement ? Listez-en au moins 5.
- Qu’est-ce qui vous permettrait de résoudre ces incertitudes aussi facilement que possible ? Partez en quête d’informations. Envisagez un ou deux tests peu coûteux.
- Quelle serait, à votre avis, l’option avec le plus de potentiel dans un scénario optimiste ?
- Si vous choisissiez de faire l’expérience de plusieurs parcours à long terme, quel serait l’ordre idéal pour les essayer ?
- Quel est votre niveau de confiance par rapport à ces options à long terme ? À votre avis, le mieux serait-il de :
- Creuser vos recherches pour mieux comparer les différents parcours ?
- Tenter une carrière en particulier (mais avec un plan B) ?
- Prévoir de faire l’expérience de plusieurs de vos options prometteuses ?
- Vous concentrer sur l’acquisition de capital professionnel transférable et vous reposer la question de l’objectif à long terme plus tard ?
Si vous voulez consacrer davantage de réflexion à vos choix de carrière, vous pouvez consulter notre méthode complète de comparaison de parcours professionnels :
Conclusion
C’est agréable d’imaginer qu’on puisse trouver le travail dans lequel on serait bons grâce à la seule réflexion, dans un éclair de lucidité. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche.
Ce qui fonctionne, c’est l’approche des scientifiques qui testeraient une hypothèse. Vous avez des idées de domaines où vous pourriez peut-être acquérir un bon niveau (les hypothèses), et vous pouvez essayer d’évaluer la justesse de ces intuitions (les recherches et les expériences). Vous pensez pouvoir vous débrouiller dans l’écriture ? Alors commencez un blog. Vous soupçonnez que le consulting ne vous plairait pas du tout ? Tâchez au moins de parler à une personne qui travaille là-dedans.
Si vous ne connaissez pas encore votre « vocation » ou votre « passion », c’est normal. C’est très difficile de prédire quelle est la bonne carrière pour vous quand vous êtes jeune, et ça reste parfois compliqué même au bout de nombreuses années dans la vie active.
Allez plutôt tenter de nouvelles choses. Vous apprendrez au fur et à mesure et prendrez petit à petit le chemin d’une carrière épanouissante.
Une fois votre domaine choisi, comment vous assurer de réussir ? C’est ce que nous allons traiter dans le prochain article. Ensuite, nous verrons comment raccorder tout ça dans un plan de carrière.
- Simonton, Dean K. « Age and outstanding achievement: What do we know after a century of research? » Psychological bulletin 104.2 (1988) : 251. ↩
- Schmidt, Frank L., et John E. Hunter. « The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 100 years of research findings. »Working Paper (2016). ↩
- Nous avons peu de doutes à ce sujet, car l’incertitude a tendance à empirer avec le temps. Par exemple, Ericsson a affirmé que le meilleur prédicteur de performances exceptionnelles sur une longue période est la quantité de « pratique délibérée » accomplie par l’individu, mais une méta-analyse de 2014 a constaté que ce facteur n’expliquait qu’environ 20 % de la variance, et ce, dans des domaines comme le sport, les échecs et la musique, où la pratique délibérée est particulièrement importante comparativement. Dans les autres professions, il s’agissait de 1 % de la variance seulement.
Il semble donc que même le meilleur prédicteur à notre disposition ne nous en dise pas beaucoup. ↩ - Les choix de carrière, par exemple, sont souvent abandonnés ou source de remords. Une enquête de l’association du barreau des États-Unis a constaté que 44 % des avocats et avocates recommanderaient à des jeunes de ne pas se tourner vers une carrière en droit. Une étude sur 20 000 recrutements menés par des cabinets spécialisés a constaté que 40 % des embauches de personnel de niveau senior se soldent par « une démission (parfois forcée) ou un licenciement dans les 18 mois ». Dans l’enseignement, plus de la moitié des nouvelles recrues abandonnent cette voie dans les quatre ans.
Source : Comment faire les bons choix : Déjouer les pièges de la raison pour prendre de meilleures décisions, de Chip et Dan Heath. ↩ - Si le résultat d’un choix de carrière est dominé par les scénarios « extrêmes » (inhabituellement bons ou mauvais), comme c’est souvent le cas selon nous, alors on peut calculer approximativement l’espérance mathématique d’un parcours en estimant la probabilité d’un scénario extrême et l’ampleur de son impact positif ou négatif. ↩
- Si l’on part du principe que les 50 % à avoir la meilleure adéquation poursuivront une carrière universitaire, vous vous situeriez dans la moitié supérieure. En réalité, vos perspectives seraient peut-être légèrement moins bonnes, certaines de vos performances passées étant potentiellement attribuables à de la chance ou à d’autres facteurs qui ne se reproduiront plus. De la même façon, des échecs antérieurs peuvent être dus au hasard ou à d’autres facteurs que vous ne pouvez pas non plus projeter, et vos chances de réussite future seraient ainsi légèrement meilleures que ce qu’une analyse trop rapide suggérerait naïvement. En d’autres termes, vos performances passées ne prédisent pas parfaitement vos performances à venir. ↩
- Vous pouvez également essayer de faire votre prévision d’après une fréquence de base, c’est-à-dire en regardant l’occurrence des événements passés pour estimer la probabilité d’un événement futur (plus technique). ↩
- Le nombre d’années médian à un même poste était en général plus haut chez la population de travailleurs et travailleuses plus âgée. Par exemple, cette médiane était trois fois plus élevée chez les 55 à 64 ans (9,8 ans) que chez les 25 à 34 ans (2,8 ans). De plus, la part de travailleurs et travailleuses en poste depuis 10 ans ou plus était plus importante dans la population plus âgée. Par exemple, parmi les 60 à 64 ans, 53 % étaient en poste dans leur entreprise actuelle depuis au moins 10 ans en janvier 2022, contre seulement 9 % des 30 à 34 ans.
Lien de l’archive du 6 mars 2023. ↩
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