Vous êtes déjà d’accord avec ces quatre idées
Cet article est une traduction de Four Ideas You Already Agree With par Sam Deere. Merci à Nour Salhi et Isabelle Leblond pour leur aide sur l’édition de cette traduction.
Vous êtes probablement déjà d’accord avec les quatre idées qui vont suivre. Trois d’entre elles concernent vos valeurs, et la dernière est une constatation sur le fonctionnement du monde. Prises séparément, elles peuvent sembler aller de soi, mais les examiner ensemble permet de tirer d’importantes conclusions sur la façon dont nous envisageons de rendre le monde meilleur.
Ces quatre idées sont les suivantes :
- Aider les autres est important : quand quelqu’un est dans le besoin et que nous avons le pouvoir de l’aider, nous avons le devoir de le faire. Dans certains cas, c’est même une exigence morale : nombreux sont ceux qui pensent que les millionnaires devraient restituer à la communauté une partie de leur fortune. Mais vous serez peut-être surpris d’apprendre que ceux d’entre nous qui touchent au moins un salaire supérieur ou égal au salaire médian d’un pays riche ont de grandes chances de faire partie des 5% les plus riches de la population mondiale [1]. Alors peut-être avons-nous, nous aussi, les moyens d’offrir une partie de nos ressources.
- Nous sommes tous [2] égaux : tout le monde a le même droit d’être heureux, en bonne santé, épanoui et libre, quelle que soit sa situation. Tous les individus comptent, quels que soient leur lieu de vie, leur niveau de richesse, leur origine ethnique, leur âge, leur genre, leur état de santé, leurs convictions religieuses, etc.
- Aider plus, c’est mieux qu’aider moins : toutes choses égales par ailleurs, il vaut mieux sauver plus de vies et contribuer à rendre ces vies plus longues et plus heureuses. Imaginez vingt malades dans une salle d’hôpital, qui vont mourir si vous ne leur donnez pas de médicaments. Vous avez assez de médicaments pour tout le monde, et aucune raison de les conserver pour plus tard : qui déciderait arbitrairement de ne sauver que quelques personnes s’il était tout aussi facile de les sauver toutes ?
- Nos ressources sont limitées : même les millionnaires ne peuvent pas débourser de l’argent à l’infini. C’est aussi vrai pour le temps dont nous disposons : il n’y aura jamais assez d’heures dans une journée. Choisir de consacrer de l’argent ou du temps à quelque chose, c’est choisir implicitement de ne pas en consacrer à d’autres choses (que nous pensions ou non à ces autres options).
Ces quatre idées ne sont, a priori, guère sujettes à controverse. Il me semble que notre intuition nous mène tous à penser qu’il faut aider les personnes dans le besoin quand c’est possible, qu’il ne faut pas arbitrairement privilégier certains groupes au détriment des autres, qu’il est préférable d’aider plus de personnes que moins, et que nos ressources ne sont pas illimitées.
Et j’irais même plus loin ; je dirais que nous aurions beaucoup de mal à défendre la position inverse, c’est-à-dire à affirmer :
- qu’aider les autres n’est ni une exigence morale, ni important, ni même réellement bénéfique ;
- qu’il est acceptable de hiérarchiser les êtres humains en fonction de leur couleur de peau, de leur genre, de leur handicap, et d’autres différences arbitraires ;
- que ce n’est pas grave que des gens meurent, même quand les sauver ne nous aurait pas coûté grand-chose ;
- que nous disposons de ressources illimitées.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Nos moyens financiers n’étant pas infinis, nous sommes toujours forcés de choisir de défendre telle cause plutôt que telle autre.
Donc, si nous sommes d’accord pour considérer que ces quatre affirmations représentent des valeurs importantes (et pour ma part, j’en suis convaincu), alors il y a d’importantes conclusions à en tirer quant à notre manière d’envisager la notion de « faire le bien ». En réalité, ça implique que notre vision traditionnelle de ce que c’est de « faire le bien » est fausse.
Pour rester fidèles à ces valeurs, nous devons nous demander comment aider un maximum de personnes avec nos ressources limitées.
C’est important, parce que certaines causes (lien en anglais) nous permettent d’avoir beaucoup d’impact pour peu d’argent. Les plus efficaces d’entre elles le sont beaucoup, beaucoup plus que la moyenne (lien en anglais), parfois des centaines de fois plus. Ce qui veut dire qu’avec exactement la même quantité de temps ou d’argent, on peut aider des centaines de personnes au lieu d’une seule.
C’est presque sûr qu’une association choisie au hasard n’aura pas autant d’impact que les associations les plus efficaces (lien en anglais). Et regardons les choses en face : si nous choisissons de soutenir telle ou telle cause, c’est souvent parce que nous l’avons découverte par hasard, ou du fait de facteurs systémiques qui font que nous avons entendu parler de cette cause, mais nous n’entendrons jamais parler de beaucoup d’autres causes.
Et c’est un enjeu crucial : si nous ne choisissons pas attentivement les associations auxquelles nous donnons, c’est soit que nous n’accordons pas la même considération à toutes et à tous (c’est-à-dire que nous discriminons implicitement certaines catégories), soit que nous n’aidons pas autant de personnes que nous le pouvons (et donc que nous laissons souffrir ou mourir des personnes que nous aurions pu aider).
Pour résumer, au départ, nous pensons que toutes les causes qui en valent la peine semblent méritent qu’on leur accorde nos ressources — de la recherche sur le cancer à la justice climatique, en passant par les refuges pour animaux et la prévention de maladies faciles à soigner, mais au nom imprononçable (lien en anglais) dans des endroits où nous n’irons probablement jamais… sauf que nous pensons aussi qu’il vaut mieux aider un maximum de gens, et nous voyons bien que nous n’avons pas assez de ressources pour aider tout le monde. Donc il vaut mieux se concentrer sur les causes qui nous permettent d’aider le plus de personnes avec notre temps et notre argent limités, et pas seulement sur celles dont il se trouve que nous avons déjà entendu parler.
Il peut être très difficile de rester neutre en choisissant une cause — d’être « neutre à la cause ». La plupart des gens ont déjà vécu directement la perte d’une personne qui leur était chère : la leucémie m’a enlevé deux membres de ma famille ; j’ai vu la maladie les ronger et les antidouleurs leur obscurcir l’esprit ; j’ai partagé la douleur de leur disparition. Dans ces circonstances, il est tout à fait normal de vouloir donner à des organisations qui cherchent à résoudre le problème ou à guérir la maladie qui nous a enlevé nos proches. Étant des êtres empathiques, nous ne voulons pas que d’autres personnes connaissent la même souffrance, ou que leurs proches vivent le deuil que nous avons subi.
Mais si nous tenons à traiter à égalité tous les individus, nous devons aussi nous employer à traiter à égalité les épreuves qu’ils traversent. Je n’aurais pas de raison vraiment valable de privilégier la lutte contre les décès, les handicaps et les souffrances causés par une maladie en particulier (comme la leucémie) à la lutte contre le paludisme, la tuberculose ou les accidents de la route. Tout ce qui compte, c’est que des vies sont écourtées, que des parents se retrouvent privés de leurs enfants, que des malades vivent dans la douleur. Si on veut appliquer le principe d’égalité, on doit considérer toutes les morts et toutes les souffrances comme des tragédies, et pas seulement celles qui sont causées par telle ou telle maladie à laquelle nous avons été personnellement confrontés par un cruel concours de circonstances.
Ce sont des décisions très, très difficiles à prendre. Mais il existe tout un ensemble d’outils cognitifs qui peuvent nous y aider. Ce mode de pensée est appelé altruisme efficace. Fondamentalement, il s’agit d’altruisme dans le sens courant du terme (dans la mesure où il met l’accent sur l’importance d’aider les autres), l’adjectif « efficace » traduisant simplement une volonté de réfléchir rationnellement à la manière dont nos actions peuvent aider un maximum de personnes ou faire un maximum de bien.
Pour moi, l’altruisme efficace est un moyen de mieux vivre en accord avec les valeurs qui sont déjà les nôtres.
Ce mode de pensée peut s’appliquer à toutes les manières possibles de faire le bien, qu’il s’agisse de militer pour faire bouger les choses sur le plan politique, de choisir à quelle cause donner de l’argent ou d’avoir un impact dans le cadre de notre vie professionnelle.
Dans un monde où tant de bonnes causes mériteraient d’être défendues, cette méthode nous permet de sortir de notre paralysie décisionnelle et de redevenir capables de décider, grâce à une recherche systématique des moyens de faire un maximum de bien avec nos ressources limitées.
Cela nous impose des choix difficiles. Mais n’oublions pas que, consciemment ou non, ce sont des choix que nous faisons de toute façon : le choix par défaut de ne pas faire de recherches poussées sur les meilleurs endroits où donner, c’est un choix aussi ! Donc, même s’il peut être difficile de ne pas donner pour une cause qui semble vraiment importante (que ce soit pour des raisons personnelles ou parce qu’on a été séduit par le discours marketing d’une organisation caritative), n’oublions pas que n’importe quel choix exclut toujours d’autres causes valables.
En voici un exemple concret. Au Royaume-Uni, un individu donne en moyenne environ 6 700 livres sterling (7 700 €) [3] à des associations caritatives au cours de sa vie active. Avec cette somme, on pourrait financer la distribution d’environ 1 900 moustiquaires [4] (qui pourraient éviter à près de 200 enfants des souffrances terribles dues au paludisme [5] et sans doute, en définitive, sauver au moins deux ou trois vies (liens en anglais)). Or la plupart de ces dons vont à des organismes caritatifs médicaux du Royaume-Uni [6]. Le National Health Service, organisme responsable de la santé publique britannique, juge qu’une année de vie en bonne santé vaut 25 000 £ (29 000 €) [7]. Si vous vivez dans un pays développé, il y a très peu de chances qu’une association caritative qui agit dans votre pays dépasse le ratio coût-vie sauvée des moustiquaires : l’impact d’un don du donneur typique sera donc bien moins important qu’il ne pourrait l’être. Rappelez-vous, ce n’est pas parce que nos choix sont inconscients que ce ne sont pas des choix.
Alors, je vous en prie, réfléchissez bien à ces idées — l’importance de l’altruisme, de l’égalité et de la maximisation du bien apporté avec des ressources limitées — et voyez si elles trouvent un écho en vous.
Si c’est le cas, la prochaine fois que vous vous demanderez comment rendre le monde meilleur, soyez fidèle à ces valeurs en réfléchissant selon ces deux axes : l’altruisme, mais aussi l’efficacité !
Des ressources pour en savoir plus sur l’altruisme efficace :
- Qu’est-ce que l’altruisme efficace ?
- L’article Wikipédia sur l’altruisme efficace
- Ce rapide résumé de l’altruisme efficace (en anglais)
- Doing Good Better de Will MacAskill
- Un manuel : Effective Altruism Handbook (en anglais)
Quelques actions que vous pouvez entreprendre et qui nous semblent vraiment efficaces :
- Faire un don à un organisme caritatif recommandé pour son impact et son rapport coût-efficacité — vous pouvez consulter notre palmarès des organismes caritatifs et les recommandations de GiveWell. Si vous souhaitez soutenir des organismes caritatifs qui améliorent efficacement le bien-être des animaux non humains, consultez le site de Animal Charity Evaluators. [NdT : ces recommandations ne prennent pas en compte la réduction fiscale pour les donateurs français donnant en France, et de meilleures options peuvent exister pour les résidents fiscaux en France.]
- Vous engager à donner tout au long de votre vie : 8 438 personnes (et ce n’est pas fini) se sont déjà engagées à donner 10 % de leurs revenus à vie aux organismes caritatifs les plus efficaces, et 798 à donner 1 % ou plus de leurs revenus pendant un certain temps.
- Choisir une carrière à fort impact en lisant les conseils de 80,000 Hours.
- Lancer un groupe de discussion près de chez vous ou dans votre université, et inciter d’autres personnes à s’engager pour faire vraiment la différence.
Notes de bas de page
- Le chiffre que j’ai entré (32 140 dollars américains) correspond au revenu médian (lien en anglais) d’une personne âgée de 25 ans ou plus aux États-Unis, mais il est bien sûr à remplacer par vos propres revenus, votre pays et les détails de votre situation familiale. À titre de comparaison, on pourrait utiliser d’autres valeurs génériques comme 24 062 dollars américains (revenu médian (lien en anglais) des plus de 18 ans aux États-Unis), 21 100 livres sterling (revenu médian (lien en anglais) du sixième décile au Royaume-Uni), ou 21 564 euros (salaire médian des travailleurs à temps plein en France).
- Dans cet article, j’ai utilisé les mots « personnes », « individus » ou « êtres humains » par commodité, mais dans le cadre de la cause des animaux non humains, vous pouvez bien sûr les remplacer par « animaux », « êtres sensibles », etc. Les arguments restent tous valables.
- Charities Aid Foundation, UK Giving 2014, p12 <https://www.cafonline.org/docs/default-source/about-us-publications/caf-ukgiving2014>. Résultat obtenu en multipliant le montant moyen des dons mensuels (14 livres sterling) par 12 (pour obtenir les dons annuels), puis par 40 (nombre d’années d’activité moyenne dans le monde du travail).
- Sur la base d’environ 5 dollars par moustiquaire distribuée par la Fondation contre le Paludisme, prix qu’elle pratique dans la plupart des endroits où elle intervient. Dans certains pays (comme la RDC), le travail coûte plus cher, mais même au prix plus élevé de 7,50 dollars par moustiquaire, on pourrait quand même en distribuer 1 000.
- White, MT. Costs and cost-effectiveness of malaria control interventions… 2011. https://malariajournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/1475-2875-10-337
- Charities Aid Foundation, UK Giving 2014, p. 14 https://www.cafonline.org/docs/default-source/about-us-publications/caf-ukgiving2014
- https://www.nice.org.uk/news/blog/carrying-nice-over-the-threshold