Les bénéfices climatiques de la fin de l’élevage d’animaux
Mettre fin à l’élevage d’animaux terrestres permettrait non seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais également de libérer des terres qui pourraient aider à lutter contre le changement climatique.
Cet article est le résumé de l’étude suivante : Eisen, M. B., & Brown, P. O. (2022). Rapid global phaseout of animal agriculture has the potential to stabilize greenhouse gas levels for 30 years and offset 68 percent of CO2 emissions this century. PLOS Climate: 1(2).
Il a été initialement publié en anglais sur Faunalytics : The ‘Climate Opportunity Cost’ Of Animal Agriculture. Merci à Louise Verkin pour sa relecture.
L’élevage intensif est en partie responsable de nombreux problèmes environnementaux tels que la déforestation, la perte de la biodiversité et le changement climatique. Ses effets sur le climat sont principalement dus à deux facteurs. Le premier est l’émission de gaz à effet de serre (GES), comme le méthane ou l’oxyde nitreux, par les animaux élevés (en particulier les bœufs, les vaches, et les autres ruminants). Le second est la réduction des écosystèmes, notamment les forêts, afin d’élever les animaux et la nourriture dont ils ont besoin.
Cette étude se concentre sur les conséquences pour le changement climatique d’une transition vers une agriculture végétale. Contrairement à d’autres études sur le sujet, les auteurs prennent en compte à la fois la réduction des émissions de GES et leur absorption accrue si une partie des terres utilisées pour l’élevage était transformée en des écosystèmes complexes tels que des forêts. En effet, cette nouvelle biomasse absorberait une quantité importante de dioxyde de carbone (CO2), via la photosynthèse, et serait donc bénéfique pour lutter contre le changement climatique.
Pour ce faire, les auteurs ont implémenté plusieurs modèles afin d’estimer les niveaux de GES dans l’atmosphère entre 2020 et 2100, et ce en utilisant des données publiques provenant d’autres études. Le modèle de référence, nommé « comme d'habitude », a estimé les niveaux de GES si aucune mesure n’est prise pour modifier l’alimentation mondiale, et que les émissions restent constantes. Un deuxième modèle a estimé les niveaux de GES si l’élevage d’animaux terrestres est arrêté sur-le-champ et remplacé par une agriculture entièrement végétale. Enfin, un troisième modèle prévoyait une transition d’une durée de 15 ans pour parvenir à une agriculture uniquement basée sur les plantes. Plusieurs autres modèles se sont concentrés sur les effets de l’arrêt de seulement certains types de production animale, comme l’élevage de porcs, de poulets, de vaches, etc.
Dans le modèle « comme d’habitude », la température de la planète augmenterait d’au moins 2.0 °C d’ici 2100. Pour rester en dessous de 2.0 °C, il faudrait réduire les émissions d’équivalent CO2 de 3 230 gigatonnes. Et pour rester en dessous de 1,5 °C, une réduction de 3 980 gigatonnes serait nécessaire, soit environ 9 500 fois l’émission de la France sur son territoire en 2021. En comparaison, le modèle avec une transition de 15 ans a estimé que cela réduirait les émissions de l’équivalent de 1 680 gigatonnes de CO2, soit 46 années d’émissions de CO2 d’origine humaine. Ces résultats indiquent que mettre fin à l’élevage d’animaux terrestres dans un délai de 15 ans, sans rien faire d’autre pour réduire les émissions de GES, suffirait à atteindre 52 % des réductions d’émissions nécessaires pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 2,0 °C, ou 42,2 % des réductions nécessaires pour limiter l’augmentation à 1,5 °C. Les auteurs notent que l’abandon progressif de l’élevage d’animaux aurait ainsi l’effet d’une réduction de 68 % des émissions de CO2 d’ici à 2100.
Pour réduire les émissions de GES, la priorité est d’arrêter l’élevage des ruminants, en particulier des bœufs et des vaches, qui représentent plus de la moitié des émissions de l’élevage d'animaux terrestres. Mettre fin à tous les élevages de ruminants — vaches, buffles, moutons et chèvres — au profit d’une agriculture centrée sur les plantes suffirait à obtenir 90 % des bénéfices de la fin de l’élevage d’animaux terrestres pour lutter contre le changement climatique. En comparaison, l’élevage de poules pondeuses et de poulets émet beaucoup moins de GES, mais les auteurs n'ont pas pris en compte les effets néfastes de l'industrie du poulet sur le bien-être des animaux.
Il est important de noter que toutes les terres récupérées de l’élevage d’animaux ne seraient pas transformées en écosystèmes complexes. Certaines devraient être utilisées pour cultiver des plantes destinées à la consommation humaine. De plus, l’étude ne prend pas en compte les autres pressions anthropiques qui pourraient potentiellement s’exercer sur les terres récupérées, comme leur utilisation pour produire des biocarburants. Enfin, l’étude est basée uniquement sur les animaux terrestres et n’a pas pris en compte les animaux aquatiques. Néanmoins, cette étude soutient que la transition vers une alimentation mondiale à base de plantes devrait être une stratégie clé pour lutter contre le changement climatique. Cela permettrait non seulement de réduire les émissions de GES, mais aussi de libérer des terres qui pourraient se transformer en écosystèmes complexes et ainsi absorber d’énormes quantités de GES. Évidemment, cette stratégie ne saurait être l’unique solution et devrait être associée à d’autres interventions pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 ou 2,0 °C, telle que la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables.
Il est désormais établi que les régimes alimentaires à base de plantes sont suffisants pour vivre en bonne santé, et ce à tout âge. Toutefois, la transition vers une agriculture uniquement centrée sur les plantes posera plusieurs défis qui doivent être surmontés. En plus des difficultés liées à l’acceptation politique et publique, les auteurs soulignent qu’il faudra aider ceux qui vivent de l’élevage à surmonter la perte de leur emploi. Il faudra également accroître la disponibilité des produits à base de plantes, qui sont très rares dans certaines régions du monde. Malgré ces défis, il est impératif de passer à un système agricole plus centré sur les plantes si nous voulons prendre au sérieux la crise climatique.