La décision la plus importante que vous ayez à prendre
Votre carrière est votre plus grande opportunité d’avoir un impact positif sur le monde.
Cet article est une traduction de This is your most important decision par l’organisation 80,000 Hours. Les termes “notre équipe”, “nous”, etc… dans la suite de l’article font référence à 80,000 Hours et non à AEF.
Quand les gens réfléchissent à ce qu’est une vie éthique, ils pensent souvent au recyclage, au commerce équitable ou au bénévolat.
Mais ils laissent de côté quelque chose de fondamental : votre choix de carrière.
À notre avis, ce que vous faites de votre carrière est probablement la décision éthique la plus importante de votre vie.
La première raison, c’est qu’une énorme quantité de temps est en jeu. Vous avez environ 80 000 heures dans votre carrière : 40 heures par semaine, 50 semaines par an, pendant 40 ans. C’est plus de temps que vous ne passerez à manger, à sortir et à regarder Netflix réunis.
Et ça signifie (à moins que vous ne soyez l’héritier d’un château dans la Loire) que le temps est la plus grande ressource dont vous disposez pour aider les autres.
Donc si vous pouvez augmenter l’impact total de votre carrière, ne serait-ce que d’un tout petit peu, cela sera probablement plus bénéfique que les changements que vous pourriez apporter à d’autres aspects de votre vie.
Ou, en regardant ça sous un autre angle : passer beaucoup de temps à réfléchir aux moyens d’améliorer votre carrière, même un tout petit peu, ça en vaut la peine. Prenons un exemple : si vous pouviez augmenter l’impact de votre carrière de 1 %, cela vaudrait la peine de passer jusqu’à 800 heures à chercher comment y parvenir.
Ce qui nous amène à la deuxième raison pour laquelle votre choix de carrière est si important : certaines carrières vous donnent l’opportunité de faire beaucoup plus de bien dans le monde que d’autres — et la différence entre les carrières est bien plus grande que ce que la plupart des gens imaginent.
Nous sommes même prêts à affirmer que certaines des carrières qui s’offrent à vous ont 10, 100, voire 1 000 fois plus d’impact que d’autres. Ce qui rend le fait de bien réfléchir à votre carrière encore plus important !
Mais pourquoi les carrières diffèrent-elles autant en termes d’impact ?
Comment comparer les carrières en termes d’impact : un cadre de réflexion
Nous pensons que l’impact que vous pouvez avoir dans différentes carrières est déterminé par trois facteurs principaux :
- L’urgence des problèmes sur lesquels vous vous concentrez
- L’ampleur de la contribution que votre carrière vous permet d’apporter à la résolution de ces problèmes
- A quel point cette carrière vous correspond (aussi appelé votre adéquation personnelle)
Ce que nous avons constaté au fil des ans, c’est que les options de carrière d’une personne peuvent énormément varier sur chacun de ces trois facteurs. C’est sûrement le cas pour vous aussi !
C’est une affirmation qui nécessite d’être justifiée. Nous abordons le détail de nos arguments dans notre série d’idées clés, mais en résumé :
- On part généralement du principe qu’il est impossible de comparer l’importance de différents problèmes mondiaux, comme le changement climatique ou l’éducation, et que vous devriez simplement vous consacrer à ce qui vous passionne. Mais à l’aide d’estimations faites à la va-vite, on peut démontrer que certains problèmes sont beaucoup plus importants que d’autres, et que certains problèmes sont beaucoup plus négligés que d’autres. Plus un problème est important et négligé, plus les chances qu’une personne supplémentaire travaillant dessus ait un impact sont grandes [1]. Cela signifie qu’en vous concentrant sur ces problèmes importants mais non conventionnels — comme les pandémies artificielles, l’alignement de l’IA ou la gouvernance de l’espace — vous êtes susceptible d’avoir un impact bien supérieur.
- Lorsqu’on réfléchit à faire le bien avec nos carrières, on pense souvent à devenir médecin, enseignant ou travailleur humanitaire. Mais si on reste ouvert à des voies plus indirectes pour obtenir un impact, il est souvent possible de contribuer à plus grande échelle, même si vous n’occupez pas un emploi traditionnellement perçu comme social.
- Les personnes les plus productives dans leur carrière ont tendance à accomplir bien plus que la moyenne. Ce qui implique qu’en vous servant des meilleures méthodes connues afin de prévoir votre aptitude pour différentes carrières, en explorant différentes voies et en investissant dans vos compétences dès le début de votre carrière, vous avez une chance de trouver un domaine où vous excellez, et donc d’augmenter votre impact de manière considérable.
Les avantages cumulatifs d’avoir trouvé la bonne carrière
Au lieu de s’additionner, les trois facteurs vu ci-dessus se multiplient : si vous pouvez trouver un problème deux fois plus important ou négligé, y apporter une contribution deux fois plus importante et trouver une voie où, parce que votre travail vous correspond, vos chances de réussite sont deux fois plus élevées, alors (toutes choses égales par ailleurs) vous aurez un impact huit fois plus important en perspective.
Dans la suite de notre série d’idées clés, nous démontrerons que certaines voies qui s’offrent à vous sont probablement 10, voire 100 fois plus prometteuses pour chacun de ces facteurs, ce qui rend plausible le fait que vous puissiez avoir un impact 100 à 1 000 fois plus important.
Ce sont des différences dont on néglige souvent l’ampleur. Intuitivement, les gens ont tendance à diviser les carrières en trois catégories : celles qui « aident » (par exemple médecin, travailleur caritatif, enseignant), celles qui sont neutres (par exemple comptable) et celles qui sont immorales (par exemple magnat du pétrole).
Cette tendance est due à un biais psychologique courant, connu sous le nom d’insensibilité à l’étendue. Aider 100 personnes nous apporte autant de satisfaction qu’en aider 1 000, même aider 1 000 personnes a un impact 10 fois plus important : nous sommes insensibles à l’étendue de notre impact.
Mais si, même parmi les carrières qui aident, certaines ont 10 ou 100 fois plus d’impact que d’autres, alors il est vital d’essayer de surmonter nos biais de raisonnement. Prendre ces différences au sérieux, ça pourrait vouloir dire sauver 100 fois plus de vies, réduire les émissions de carbone 100 fois plus ou faire 100 fois plus de progrès dans des recherches cruciales.
S’il est possible de trouver une option dont l’impact est 100 fois supérieur à celui de l’option que vous considérez actuellement comme la meilleure, alors passer 10 ans dans cette voie à fort impact vous permettrait d’accomplir ce qui, autrement, vous aurait pris 1 000 ans. Vous pourriez alors passer les 30 années suivantes à faire ce qui vous rend le plus heureux, tout en ayant fait beaucoup plus pour aider les autres.
Dans le reste de cette série d’articles, nous montrerons que pour un diplômé d’université venant d’un pays riche, il est au minimum possible de sauver des dizaines de vies au cours de sa carrière en faisant des dons à des organisations caritatives soigneusement choisies. Et si en plus de ça, vous êtes prêt à réorienter votre carrière, nous pensons qu’il est possible de faire encore davantage de bien. Peu d’autres décisions ont des implications aussi importantes.
Étude de cas : changer de carrière versus réduire son empreinte carbone
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi le choix de carrière est une décision si importante par rapport aux changements de style de vie comme le recyclage ou la réduction de votre empreinte carbone.
Le Français moyen émet neuf tonnes de CO2 par an [2].
Donc même si vous réorganisez totalement votre vie pour réduire votre empreinte à zéro, vous éviteriez au mieux neuf tonnes d’émissions par an en moyenne.
En revanche, en faisant un don pour soutenir les solutions les plus efficaces pour lutter contre le changement climatique — une campagne de sensibilisation bien ciblée ou un programme de R&D sur les technologies vertes — vous pouvez (en moyenne) contribuer à la réduction des émissions de CO2 pour moins de 10 euros par tonne[3].
Ainsi, un don d’environ 1 000 euros par an aurait probablement un impact 10 fois supérieur par rapport à la réduction de votre empreinte écologique à zéro. (Et pour la plupart des gens, ce serait beaucoup plus facile et bien moins cher !).
Et si vous utilisez votre carrière pour travailler directement sur ces solutions, elle aura largement plus de valeur pour la cause du changement climatique que 1 000 euros par an.
Ainsi, en changeant de carrière, vous pouvez réduire les émissions de CO2 des centaines, voire des milliers de fois plus que vous ne le feriez en changeant votre mode de vie — ce qui rend cette décision des centaines de fois plus importante.
Si c’est possible, c’est parce que par le biais de votre carrière, vous pouvez vous concentrer sur les moyens les plus efficaces de réduire les émissions dans le monde entier, plutôt que de vous limiter à changer vos propres habitudes.
Dans notre série d’articles, nous soutiendrons qu’il existe des problèmes encore plus importants et plus négligés que le changement climatique, de sorte que vous pouvez probablement faire encore plus de bien dans le monde en vous concentrant sur ces questions.
Si vous voulez aider à changer les choses, la décision qui compte le plus est votre choix de carrière. Elle est suivie, par ordre d’importance, par le choix des organisations vers lesquelles diriger vos donations et des idées que vous voulez diffuser autour de vous, puis par le bénévolat et par vos choix de consommation au quotidien.
Mais quand on parle de comment changer les choses, la plupart des discussions font l’inverse : elles partent de l’idée que « chaque petit geste aide », alors qu’en réalité, chaque petit geste n’aide que très peu. Si vous en avez la possibilité, concentrez-vous d’abord sur les grandes décisions.
Si de telles différences existent, pourquoi ne sont-elles pas davantage prises en compte ?
Il peut sembler incroyable que certaines carrières qui s’offrent à vous puissent faire 100 ou 1 000 fois plus de bien dans le monde que d’autres, tout en étant aussi satisfaisantes pour vous. Nous, à 80,000 Hours, ne sommes pas 100 % certains que cef soit bien le cas, mais nous en sommes devenus de plus en plus convaincus avec le temps.
Si de telles différences existent, pourtant, pourquoi ne sont-elles pas davantage connues ?
Nous pensons que c’est parce que notre interprétation courante de ce que signifie vivre de manière éthique date de plusieurs siècles, voire millénaires. Elle ne correspond plus au pouvoir que beaucoup d’entre nous possèdent aujourd’hui.
L’abondance économique et technologique massive issue de la révolution industrielle signifie qu’aujourd’hui, de nombreux citoyens ordinaires des pays riches possèdent ce qui, au cours des siècles précédents, aurait été une richesse et un pouvoir dignes d’un roi.
Notre génération peut :
- Détruire le climat pour des milliers d’années, ou bien construire une économie durable qui permet un niveau de vie plus élevé pour tous.
- Continuer à développer l’élevage industriel, ou l’éradiquer.
- Permettre à des technologies comme les armes nucléaires de mettre fin à la civilisation, ou inaugurer un avenir meilleur que tout ce que nous osons imaginer.
Tout cela n’est devenu vrai que depuis quelques décennies. Il y a de bonnes raisons de penser que ces tournants technologiques décisifs feront du prochain siècle l’un des plus importants de l’histoire.
Et grâce à votre carrière, vous pourriez contribuer à changer le cours de l’histoire sur ces questions vitales.
Notre objectif est d’aider les gens comme vous à comprendre votre nouveau pouvoir et à l’utiliser pour le bien. Si vous êtes assez chanceux pour avoir la possibilité de façonner votre carrière, vous pouvez aider à changer les choses. Ce n’est pas une voie facile, mais elle en vaut la peine.
Trouver la meilleure voie pour vous requiert d’explorer, d’investir dans vos propres compétences, de prendre des risques, et de faire des compromis pas toujours faciles.
Nous avons souvent été rongés par l’incertitude quand nous nous demandions ce que nous devions faire, et dépassés par l’ampleur des problèmes du monde. Mais nous avons également trouvé du sens et une profonde satisfaction à notre travail, notamment au fur et à mesure qu’une communauté s’est formée autour de ces questions.
Nous avons toujours beaucoup à apprendre mais nous espérons qu’en partageant ce que nous avons découvert jusqu’ici, nous pouvons vous permettre d’éviter de faire les mêmes erreurs que nous, et peut-être faciliter votre chemin vers une carrière à impact.
Vous avez 80 000 heures au cours de votre carrière. Ne les gâchez pas.
Notes de bas de page
[1] Imaginez deux problèmes d’importance égale, A et B. Si 10 personnes travaillent sur le problème A et 1 000 personnes sur le problème B, il y a de grandes chances pour que vous ayez plus d’impact en étant la 11ème personne à travailler sur A, plutôt que la 1 001ème personne à travailler sur B !
[2] Voir L’empreinte carbone de la France de 1995 à 2021, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
[3] Vous pourrez très probablement réduire les émissions de CO2 pour moins de deux cents euros par tonne, puisque pour c’est le prix que ça coûte d’aspirer le CO2 de l’air ambiant.
Mais en vous concentrant sur des opportunités négligées avec le meilleur rapport coût/efficacité, et en acceptant de prendre des risques, nous pensons que vous pouvez faire plus de 100 fois mieux en moyenne, ce qui nous conduit à moins de deux euros par tonne. (Et peut-être même 1 000 fois mieux. Bien sûr, on ne peut jamais être certains que ces estimations sont correctes, elles se basent sur notre meilleur jugement — elles représentent nos estimations en prenant en compte tous les facteurs que nous connaissons.)
En pratique, cela signifie financer de la recherche ou des stratégies de sensibilisation qui n’ont que, disons, 10 % de chance de succès — mais dont le succès signifierait qu’elles ont un rapport coût-efficacité absolument remarquable.
Pour des exemples d’ONG qui sont dans cette catégorie, voir les recommandations du Climate Change Fund de Founders Pledge. Voir la version complète de leur rapport pour plus de détails sur leurs estimations du rapport coût-efficacité : Navigating the changing landscape of climate philanthropy.