Comment éviter des pandémies catastrophiques
Par Arden Koehler et Benjamin Hilton — publié en avril 2020 — dernière mise à jour en juillet 2022
Cet article est une traduction de Preventing Catastrophic Pandemics, écrit par l’organisation 80,000 Hours. Les termes “nous” et “notre équipe” dans l’article font référence à 80,000 Hours, et non à AEF.
Les pandémies font partie des événements les plus meurtriers de l’Histoire [1]. Le progrès technologique couplé à notre interdépendance croissante nous font courir le risque de catastrophes biologiques encore plus graves.
Les risques biologiques catastrophiques mondiaux (RBCM, ou GCBRs en anglais) sont des risques de pandémies suffisamment graves pour mettre en péril l’avenir de l’humanité.
Pour les raisons exposées ci-dessous, nous pensons que les risques qu’une telle catastrophe biologique se produise sont suffisamment élevés pour être très inquiétants. Mais il existe aussi un certain nombre de solutions pratiques permettant de les réduire. Nous pensons donc que travailler à la réduction des RBCM est une manière utile d’agir dès maintenant pour préserver l’avenir de l’humanité.
Si vous avez envie de travailler dans ce domaine au cours de votre carrière, nous pouvons peut-être vous aider grâce à nos entretiens carrière personnalisés (en anglais).
Résumé
Les pandémies — à l’instar d’autres risques biologiques catastrophiques mondiaux comme le bioterrorisme ou les armes biologiques — constituent une menace existentielle majeure pour l’humanité. Plus les biotechnologies progressent, plus il paraît plausible que la fabrication (délibérée ou accidentelle) d’agents pathogènes extrêmement dangereux devienne de plus en plus facile. Or ces agents pathogènes pourraient être bien pires que le virus SARS-CoV-2 à l’origine du COVID-19.
Nous pouvons nous préparer à la prochaine pandémie et, espérons-le, y mettre fin avant même qu’elle ne se déclenche. Nous, à 80,000 Hours, trouvons plusieurs méthodes de réduction de ces risques très enthousiasmantes. Par exemple, nous pourrions trouver des solutions technologiques facilitant la prévention et le traitement des infections, ainsi que des solutions politiques permettant aux pays et aux institutions de mieux faire face aux pandémies. Si de nombreux travaux sont en cours dans ce domaine, très peu d’entre eux sont axés sur les risques les plus graves et, par conséquent, nous pensons que les recherches visant à prévenir les pandémies au potentiel existentiel sont fortement négligées.
Notre opinion
Cause recommandée avec la priorité la plus élevée
Ce problème est à nos yeux l’un des plus urgents au monde.
Ampleur
[Si ce problème était résolu, à quel point le monde deviendrait-il meilleur ? En savoir plus sur la notion d’ampleur.]
Les pandémies — en particulier les pandémies artificielles — représentent un risque important pour l’existence de l’humanité. Nous pensons qu’il y a plus d’une chance sur 10 000 qu’une catastrophe biologique existentielle se produise dans les 100 prochaines années [2].
Caractère négligé
[Quelle quantité de ressources est déjà consacrée à la lutte contre ce problème ? En savoir plus sur la notion de caractère négligé.]
Des milliards de dollars sont dépensés chaque année pour prévenir les pandémies. Peu de ces mesures visent spécifiquement à prévenir les risques biologiques susceptibles de détruire l’humanité. Or nous pensons que, par souci des générations futures, il est fondamental d’essayer de réduire ces risques existentiels. Nos estimations ajustées en fonction de la qualité indiquent que les dépenses actuelles sont d’environ 1 milliard de dollars par an. (À titre de comparaison, nous estimons que des centaines de milliards sont consacrés chaque année au changement climatique et des dizaines de millions à la réduction des risques liés à l’IA.)
Potentiel d’amélioration
[Si nous doublions les efforts directs centrés sur ce problème, quelle fraction du problème pourrions-nous espérer résoudre ? En savoir plus sur la notion de potentiel d’amélioration.]
Il existe des méthodes prometteuses pour améliorer la biosécurité, notamment par une approche duelle : d’un côté développer des technologies qui pourraient réduire la survenue de ces risques (par exemple une meilleure biosurveillance), de l’autre œuvrer sur le plan stratégique et politique en élaborant des plans de prévention et d’atténuation des catastrophes biologiques.
Niveau d’effort consacré à cette revue
Moyen : nous avons interrogé au moins cinq personnes spécialistes de ce problème, récapitulé les meilleures recherches sur le sujet, et réalisé quelques investigations poussées sur l’une au moins de nos principales incertitudes concernant ce problème, puis nous avons consigné nos conclusions. Certains de nos points de vue ont fait l’objet de recherches approfondies, mais il est probable qu’il reste des lacunes dans notre compréhension.
Cette revue fait partie de nombreuses présentations que 80,000 Hours a rédigées pour vous aider à identifier les problèmes les plus urgents que vous pouvez résoudre grâce à votre carrière. Découvrez comment nous comparons différents problèmes, comment nous essayons de leur attribuer une note chiffrée, et comment tel ou tel problème se situe par rapport aux autres que nous avons examinés jusque-là.
Cette page explique brièvement l’intérêt de travailler sur la prévention des pandémies catastrophiques et renvoie à nos nombreuses ressources sur le sujet. Travailler sur cette question, pour ou contre ? Pour une analyse plus complète des arguments, consultez notre rapport complet sur les risques biologiques catastrophiques mondiaux. (Ce rapport a été publié en mars 2020 et a été rédigé en grande partie avant la pandémie de COVID-19, mais ses conclusions restent à nos yeux valables.)
Pourquoi axer votre carrière sur la prévention des pandémies graves ?
Le progrès des biotechnologies peut conduire à des risques catastrophiques.
Le COVID-19 a mis en évidence notre vulnérabilité face aux pandémies mondiales et révélé des faiblesses dans notre capacité à réagir de manière coordonnée et réfléchie. Des événements historiques comme la peste noire et la grippe espagnole montrent que les pandémies peuvent avoir des conséquences dramatiques pour l’humanité.
Prenons un instant pour imaginer les conséquences d’un agent pandémique beaucoup plus contagieux que tous ceux que nous connaissons, ou beaucoup plus mortel, voire les deux à la fois. Ça fait froid dans le dos.
Malheureusement, l’apparition d’un tel agent pathogène n’est pas exclue. Les récents progrès de la biotechnologie permettent aux chercheurs de concevoir et de créer des agents biologiques avec bien plus de facilité et de précision qu’auparavant. Si cette tendance se poursuit, dans les décennies à venir, quelqu’un pourrait être en mesure de créer un agent pathogène conçu pour être nettement plus contagieux que les agents naturels, plus mortel et/ou plus difficile à combattre avec des moyens classiques. [3]
Dans le même temps, des États ou des individus mal intentionnés pourraient accéder plus facilement à ces agents pathogènes et les utiliser comme armes : les technologies nécessaires pour ce faire se répandent elles aussi et deviennent plus faciles à utiliser. [4]
Des agents pathogènes dangereux conçus à des fins de recherches pourraient aussi s’échapper accidentellement à cause d’une faille dans la sécurité d’un laboratoire. [5]
Chacun de ces scénarios pourrait entraîner une « pandémie artificielle » catastrophique. Même si, en principe, fabriquer un agent pathogène hautement dangereux n’est pas dans l’intérêt des États ou d’autres acteurs (notamment parce que ça pourrait se retourner contre eux), il n’en reste pas moins que c’est possible, et un agent pathogène pandémique fabriqué pour ça a le potentiel d’être beaucoup plus mortel et transmissible qu’un agent pathogène naturel. Compte tenu des risques d’accident, de négligence et de malveillance, nous ne pouvons exclure l’éventualité de la diffusion d’un agent pathogène à potentiel pandémique qui pourrait tuer une part importante de la population.
La probabilité de ce scénario est sujette à débat. Mais au cours du siècle prochain, elle ne paraît pas négligeable. [6]
Une pandémie artificielle pourrait-elle représenter une menace existentielle pour l’humanité ? Là aussi, on peut en discuter. Par le passé, des sociétés ont fait face à de graves pandémies comme la peste noire, qui a tué entre un tiers et la moitié des Européens. [7] Mais comme on l’a vu, ce sont les futurs RBCM qui semblent constituer l’un des risques existentiels majeurs de ce siècle. [8]
Il semble donc capital de réduire le risque de catastrophes biologiques en réduisant les risques de pandémies ou en faisant en sorte d’en atténuer les pires effets. [9]
Des mesures concrètes pour réduire ces risques existent.
Par exemple :
- Travailler avec les pouvoirs publics, le monde universitaire et l’industrie pour améliorer les réglementations autour de la recherche sur les gains de fonction d’agents pathogènes à potentiel pandémique, autour de la synthèse commerciale de l’ADN, et autour d’autres recherches et activités susceptibles de permettre la création d’agents pathogènes particulièrement dangereux — ou de faciliter l’accès à eux. Parfois, une réglementation rigoureuse pourrait être nécessaire.
- Renforcer les engagements internationaux à ne pas fabriquer ou déployer d’armes biologiques, par exemple la Convention sur l’interdiction des armes biologiques [10].
- Mettre au point des tests et traitements à large spectre, des technologies et des plateformes qui pourraient être utilisés pour tester, vacciner et traiter rapidement des milliards de personnes si une pandémie inconnue jusqu’alors se déclenchait [11]
Pour en savoir plus, lisez notre interview du Dr Cassidy Nelson.
La plupart des travaux actuels ne se concentrent pas sur les pires scénarios possibles.
Le vaste domaine de la biosécurité et de la préparation aux pandémies a largement contribué à la réduction des risques biologiques catastrophiques mondiaux. Les solutions mises en œuvre pour éviter des pandémies dont l’apparition est plus probable, mais les conséquences moins graves, peuvent aussi réduire les RBCM. Autrement dit, même si elles ne ciblent pas ces risques catastrophiques, de nombreuses personnes effectuent un travail utile pour les réduire. Nous pensons donc que faire progresser certains domaines de la biosécurité — notamment la recherche sur les vaccins ou les traitements à large spectre — peut être très précieux, même du point de vue de la réduction du risque ou de la gravité des pires pandémies potentielles.
Il existe peut-être des possibilités encore plus prometteuses. Il semble assez rare que, dans le domaine de la biosécurité et de la préparation aux pandémies, les recherches portent expressément sur la réduction des RBCM. Les projets qui se focalisent sur la réduction des RBCM semblent recevoir une part assez faible du financement de la sécurité sanitaire. [12] Selon nous, les coûts des catastrophes biologiques augmentent avec leur gravité de façon non linéaire, car ces événements sont de nature à contribuer de plus en plus au risque existentiel. Tout indique donc que les projets réduisant spécifiquement les RBCM devraient recevoir davantage de financement et susciter une plus grande attention.
De plus, dans la mesure où des interventions plus ciblées seraient utiles (et nous pensons qu’elles le seraient [13]), le fait qu’il y ait pour l’instant assez peu de travaux sur la réduction des RBCM indique que ce domaine est plutôt négligé. Par conséquent, si vous vous engagez dans le domaine de la biosécurité et de la préparation aux pandémies dans le but de réduire les RBCM, vous rencontrerez peut-être des opportunités particulièrement intéressantes que d’autres n’ont pas encore exploitées.
Si vous vous engagez dans ce domaine avec le but de réduire les RBCM, il sera peut-être plus facile de travailler d’abord sur des projets plus larges qui bénéficient d’un soutien plus global, et de ne passer que plus tard à des projets plus ciblés.
Si vous travaillez déjà dans la biosécurité et la préparation aux pandémies (ou dans un domaine voisin), c’est sûrement le bon moment pour promouvoir des mesures susceptibles de nous aider à faire face à la prochaine pandémie que nous affronterons. Le manque total de préparation au COVID-19 en a fait réfléchir plus d’un : les idées nouvelles sur les risques liés aux pandémies seront sans doute mieux acceptées. [14]
De quels types de recherche a-t-on le plus besoin ?
La biosécurité et la préparation aux pandémies sont des domaines multidisciplinaires. Pour lutter efficacement contre ces menaces, il faut au moins :
- des chercheurs en biologie et des fabricants pour créer des outils qui permettraient de contrôler des épidémies, par exemple des tests à large spectre et des antiviraux. (Voir des exemples de sujets de recherche.)
- des chercheurs en stratégie et des prévisionnistes pour élaborer des plans pertinents, par exemple des plans pour développer des vaccins rapidement ou pour augmenter leur fabrication à grande échelle.
- des élus pour adopter et mettre en œuvre des politiques visant à réduire les menaces biologiques.
Par ailleurs, n’oublions pas que ce domaine peut être sujet à des fuites d’information. Il est donc capital que ces fonctions soient confiées à des personnes agissant en toute discrétion. Il s’ensuit aussi que les experts en sécurité de l’information peuvent être particulièrement utiles dans ce domaine.
Quels sont les emplois disponibles dans ce domaine ?
De nombreuses organisations et agences travaillent à la réduction des menaces biologiques. En voici quelques-unes [NdT : toutes anglophones] qui ciblent les risques biologiques catastrophiques mondiaux :
- Le Center for Health Security (CHS) a reçu une subvention de 16 millions de dollars de la part d’Open Philanthropy, qui considère le CHS « comme le plus important laboratoire d’idées américain menant des activités de recherche et de développement dans le domaine de la biosécurité et de la préparation aux pandémies (BPP) ».
- Le Future of Humanity Institute (FHI, Institut pour l’avenir de l’Humanité) de l’université d’Oxford est un centre de recherches interdisciplinaires qui étudie les meilleurs moyens de donner un avenir positif à l’humanité. Par le récent recrutement de Piers Millett, le FHI entend étendre son action en matière de recherche et de politique à la réduction des risques de catastrophes liés aux biotechnologies.
- The Center for International Security and Cooperation a un programme de biosécurité dirigé par Megan Palmer et a été subventionné par Open Philanthropy.
- Le Nuclear Threat Initiative, laboratoire d’idées américain non partisan, œuvre à la prévention des attentats et des accidents catastrophiques impliquant des armes nucléaires, biologiques, radiologiques, chimiques et cybernétiques de destruction et de perturbation massive.
- Intelligence Advanced Research Projects Activity (IARPA) est une agence gouvernementale qui finance des recherches utiles pour les milieux du renseignement américain. Elle a parrainéEN des recherches sur les moyens d’améliorer la biosécurité et la préparation aux pandémies.
- Le Cambridge Centre for the Study of Existential Risk de l’université de Cambridge accueille des universitaires qui étudient les questions à la fois techniques et stratégiques liées à la biosécurité.
- La Bipartisan Commission on Biodefense est un groupe qui analyse les capacités de défense des États-Unis contre les menaces biologiques, émet des recommandations et fait campagne pour obtenir des améliorations.
- Le Global Catastrophic Risk Institute est un institut de recherche indépendant qui étudie comment réduire au minimum les risques de catastrophes à grande échelle.
Sur le tableau des offres d’emploi de 80,000 Hours, nous répertorions les emplois en rapport avec la réduction des menaces biologiques à pourvoir dans ces organisations et dans d’autres : CONSULTER LES ANNONCES
Consultez aussi notre liste d’organisations recommandées en matière de réduction des risques biologiques.
Vous voulez œuvrer à la réduction des risques des pires catastrophes biologiques ? Nous voulons vous y aider.Nous avons aidé des personnes à élaborer des projets, à trouver des ressources et nous les avons mises en contact avec des mentors. Si vous souhaitez travailler dans ce domaine, inscrivez-vous à notre service gratuit de conseil personnalisé (en anglais).
Vous voulez soutenir le travail dans ce domaine par un don ?
Si vous souhaitez contribuer à la réduction des risques biologiques catastrophiques mondiaux mais sans faire carrière dans ce domaine, vous pouvez également aider en faisant des dons à des organismes bien gérés qui font des progrès importants sur cette question.
À quels organismes donner ? Nous n’avons pas étudié cette question nous-mêmes, mais nous avons demandé à quelques conseillers travaillant sur la biosécurité et la préparation pandémique de nous faire part de leurs suggestions.
Deux organismes semblent se démarquer en offrant des opportunités de dons particulièrement intéressantes :
Open Philanthropy, fondation qui partage largement nos valeurs, a accordé des subventions à ces deux organisations en se fondant sur une évaluation de la qualité de leur travail, de leur personnel et de leur structure, mais aussi de leur rayonnement mondial et de la manière dont elles étaient susceptibles d’utiliser la subvention.
Toutefois, ces deux organisations pourraient avoir besoin d’un financement supplémentaire. [15] Vous pouvez contribuer à leur budget en faisant vous-même un don, qui complètera les subventions d’Open Philanthropy. [16] (NB : Open Philanthropy est notre principal bailleur de fonds.)
Pour en savoir plus, lisez l’évaluation de ces organisations effectuée par Open Philanthropy et les raisons précises pour lesquelles la fondation a accordé en 2017 à NTI une subvention de 6 millions de dollars et à CHS une subvention de 16 millions de dollars.
Pour en savoir plus…
… Dirigez-vous vers la page Biorisques sur le site d’AEF.
Notes et références
[1] Pour comparer les événements les plus meurtriers de l’histoire, voir l’enquête de Luke Muehlhauser, également citée dans notre présentation complète de la réduction des risques biologiques catastrophiques mondiaux. On notera que trois des dix premiers événements sont des pandémies :
[2] Nous avons observé diverses estimations concernant les risques de catastrophe biologique existentielle :
- Ord, The Precipice (2020) : 3 % d’ici 2120
- Sandberg et Bostrom, Global Catastrophic Risks Survey [Enquête mondiale sur les risques de catastrophe], (2008) : 2 % d’ici 2100
- Pamlin et Armstrong, Global Challenges : 12 Risks that Threaten Human Civilisation [Douze risques qui menacent la civilisation humaine], (2015) : 0,0002 % d’ici 2115
Nous avons été attentifs au raisonnement qui sous-tend ces estimations et nous ne savons pas bien auxquelles nous devons nous fier le plus. Globalement, nous pensons que le risque est d’environ 0,1 %, et qu’il est très probable qu’il soit supérieur à 0,01 %, mais nous n’y avons pas réfléchi en détail.
[3] Le séquençage, l’édition et la synthèse des gènes sont désormais possibles et de plus en plus systématisés, ce qui permet en principe de concevoir et de produire des agents biologiques à peu près comme nous concevons et produisons des ordinateurs ou d’autres produits. Cela pourrait permettre de concevoir et de créer des agents pathogènes combinant des propriétés d’agents pathogènes naturels ou présentant des caractéristiques entièrement nouvelles. (En savoir plus)
Les scientifiques étudient également ce qui rend les agents pathogènes plus ou moins mortels et contagieux. Cette meilleure compréhension pourrait nous aider à mieux prévenir et atténuer les épidémies. Mais cela veut aussi dire que les informations nécessaires pour concevoir des agents pathogènes plus dangereux sont de plus en plus disponibles.
Toutes les technologies impliquées ont des utilisations médicales importantes, en plus des dangers qu’elles présentent. Par exemple, le séquençage des gènes est une technologie qui peut aussi être d’une grande utilité pour nous aider à diagnostiquer rapidement de nouvelles maladies. (Voir un exemple d’avancée.) Pour bien gérer ces avancées, un équilibre délicat est donc à trouver.
[4] Au cours des dernières décennies, le génie génétique a pu être décrit comme un « artisanat » comportant beaucoup d’incertitudes, de connaissances tacites, d’essais et d’erreurs. Certains biologistes de synthèse ont pour ambition (1, 2, 3, et « BioBricks ») de rendre ce processus plus systématique et modulaire, ce qui permettrait à un plus grand nombre de personnes ayant moins d’expérience de créer du matériel biologique fiable et économique — de façon plus similaire à un processus industriel standard.
Sur ce front, des progrès constants ont été réalisés. Les innovations de ces dernières décennies ont facilité la conception et la fabrication de matériel génétique. La production commerciale est de plus en plus disponible et rentable. Des bibliothèques de séquences génétiques de plus en plus importantes sont disponibles, et les coûts du séquençage diminuent. Certaines mesures ont été prises pour gérer les risques liés à cette disponibilité, mais il faudra en faire davantage à mesure que l’industrie continuera de progresser.
Un an ou deux après leur invention, de nombreuses avancées de pointe sont accessibles aux étudiants des premiers cycles universitaires qui participent à la Compétition internationale de machines génétiquement modifiées (iGEM). Le mouvement de la biologie participative montre que certaines avancées sont accessibles aux personnes n’ayant reçu aucune formation officielle (de la même manière que l’impression 3D a amélioré l’accès à certaines formes de fabrication).
Encore une fois, il convient de souligner que ces évolutions comportent des avantages, mais aussi des risques. Un plus grand nombre de personnes capables de séquencer et de synthétiser le matériel génétique, ce sont aussi des progrès plus rapides dans divers domaines comme les nouvelles pharmacothérapies innovantes.
[5] Pourquoi des chercheurs bien intentionnés créeraient-ils délibérément des agents pathogènes artificiellement dangereux ? L’un des objectifs est la « recherche de gain de fonction », dans laquelle les scientifiques cherchent à accroître la contagiosité ou la virulence d’un agent pathogène pour mieux en comprendre les caractéristiques, et notamment pour savoir si certaines mutations doivent être considérées comme un signal d’alarme si elles se produisent dans la nature. Le résultat est généralement un agent pathogène légèrement plus dangereux, mais qui reste dans les limites de ce que les virologues manipulent au quotidien. Toutefois, si la recherche porte sur des agents pathogènes potentiellement pandémiques ou particulièrement virulents, le risque de créer quelque chose d’anormalement dangereux devient préoccupant. L’exemple le plus connu de recherche de gain de fonction est une expérience menée en 2011 pour augmenter la transmissibilité de la grippe aviaire (H5N1) chez les mammifères. Cette expérience était controversée et a déclenché aux États-Unis une enquête du Conseil consultatif scientifique national pour la biosécurité (NSABB).
[6] Dans une enquête réalisée en 2008, l’expert médian estimait qu’il y avait une probabilité de 10 % de chances qu’un milliard de personnes meurent d’une pandémie artificielle avant 2100, et de 2 % qu’une pandémie artificielle cause notre extinction. Les auteurs soulignent que pour diverses raisons, ces estimations sont à prendre avec précaution. Néanmoins, des arguments comme ceux présentés ici laissent penser que ces chiffres sont relativement plausibles.
[7] Dans son article sur la révolution industrielle, qui aborde aussi certains des événements les plus meurtriers de l’histoire, Luke Muehlhauser examine les données concernant la peste noire et d’autres épidémies. Il résume ainsi les choses : « L’opinion la plus courante semble être qu’environ un tiers de la population de l’Europe a péri au cours de la peste noire, soit un minimum de 75 à 80 millions de victimes. Mais la fourchette des estimations crédibles se situe entre 25 et 60 %. » Voir la note de bas de page 1 qui présente un tableau des estimations de Muehlhauser concernant les décès causés dans le monde par différents événements historiques.
[8] Dans The Precipice : Existential Risk and the Future of Humanity [Le précipice : risque existentiel et avenir de l’humanité], Toby Ord estime que la probabilité d’extinction de l’humanité au cours des cent prochaines années sous l’effet d’un agent biologique est d’environ 1 sur 30. Écoutez Toby parler de ce risque et d’autres risques potentiels dans notre épisode de podcast consacré à The Precipice. Vous pouvez lire aussi cet article critique sur The Precipice, qui affirme que le risque est beaucoup faible.
[9] Nous vous montrons ici l’intérêt de travailler sur les RBCM. Mais évidemment, il faut savoir si c’est sur ce domaine que vous devez vous concentrer dans votre carrière. Cela dépend (entre autres) de vos prédispositions pour ce domaine, mais aussi de ce que vous constatez en le comparant avec d’autres domaines vers lesquels vous pourriez vous orienter. Par exemple, comme le souligne Greg Lewis, travailler pour augmenter les chances d’avènement d’une IA sûre et bénéfique semble être une cause bien plus négligée que de travailler sur les RBCM, mais semble au moins aussi important pour sauvegarder l’avenir de l’humanité. Par conséquent, si votre situation et vos prédispositions sont aussi bonnes pour les deux domaines, travailler à l’avènement d’une IA sûre et bénéfique est probablement le meilleur des deux choix. (Bien sûr, il existe de nombreux autres domaines d’intérêt potentiels qui pourraient vous convenir encore mieux.)
[10] Le seul accord existant — la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (CIAB) — manque de ressources et n’a aucun pouvoir de contrôle ou de contrainte. (Pour en savoir plus sur les faiblesses de la CIAB, consulter la rubrique « State actors and the Biological Weapons Convention » [Les acteurs étatiques et la Convention sur les armes biologiques] de notre dossier complet sur les RBCM.)
[11] On a beaucoup écrit sur certaines technologies. Par exemple, Broad-Spectrum Antiviral Agents: A Crucial Pandemic Tool [Antiviraux à large spectre : un outil capital en cas de pandémie] (2019). Un certain nombre des épisodes de podcasts listés ci-dessus abordent certaines des idées les plus prometteuses, de même que de nombreux articles figurant dans la section « Autres ressources » ci-dessus.
[12] Greg Lewis estime qu’environ 1 milliard de dollars américains, ajustés en fonction de la qualité, sont dépensés chaque année pour réduire les risques biologiques catastrophiques mondiaux. La plupart de ces résultats proviennent de travaux qui ne visent pas explicitement les risques biologiques catastrophiques mondiaux, mais qui sont très utiles pour les réduire. Le budget américain pour la sécurité sanitaire en général s’élève à environ 14 milliards de dollars. Dans le monde entier, ce budget s’élève probablement au double ou au triple de cette somme, et les dépenses particulièrement utiles à la réduction des RBCM ne représentent probablement que quelques pour cent du total ; les dépenses expressément affectées à la réduction des RBCM seraient beaucoup moins importantes. Voir la section correspondante de notre dossier RBCM, note 21 comprise.
Pourquoi travailler sur les RBCM suscite-t-il moins d’intérêt, alors qu’ils pourraient provoquer les pires catastrophes ? L’une des réponses est que les personnes habilitées à allouer des ressources ne sont pas suffisamment conscientes des RBCM, ou pensent qu’ils sont extrêmement faibles. Autre réponse : la pensée à court terme. Dans la mesure où en matière de RBCM, les technologies les plus inquiétantes ne sont pas encore entièrement développées, il est très peu probable que nous assistions à une catastrophe biologique dans les prochaines années ; les personnes soumises à des pressions, notamment politiques, qui les poussent à privilégier l’avenir proche peuvent donc être moins enclines à s’y intéresser. Enfin, le problème des RBCM relève de la question des « biens publics ». Nous avons donc de bonnes raisons de penser qu’ils sont quelque peu négligés. En savoir plus
[13] Travailler en ciblant la réduction des RBCM ou en visant le domaine de la biosécurité et de la préparation aux pandémies dans son ensemble, qu’est-ce qui est le plus utile ? Il y a là matière à débat. Dans un récent épisode de podcast, Marc Lipsitch expliquait que la meilleure façon de faire face aux RBCM pourrait être tout simplement de se consacrer au domaine dans son ensemble, car les menaces biologiques de toutes tailles et les outils nécessaires pour les combattre se chevauchent et se recoupent. Dans notre article sur la réduction des RBCM, Greg Lewis laissait entendre que cette stratégie — qui revient selon lui à « acheter l’indice » de la biosécurité conventionnelle — serait probablement moins efficace que d’essayer de compléter le portefeuille existant par des travaux particulièrement importants pour la réduction des RBCM.
Nous estimons que le point de vue de Greg est plus proche de la vérité, bien que ce ne soit pas évident et que Greg exprime aussi son incertitude. Nous suivons une heuristique générale : toutes choses égales par ailleurs, une action plus ciblée — dont l’objectif principal est de progresser sur un nombre plus restreint de questions — est susceptible d’avoir un effet plus important sur ces questions qu’une intervention moins ciblée sur un nombre d’objectifs plus élevé. En choisissant l’action la moins ciblée, vous devrez arbitrer davantage entre les différents objectifs, ce qui pourra réduire votre impact sur chacun d’entre eux pris séparément.
Autre remarque, qui concerne ce cas particulier : les personnes qui ont façonné le domaine large de la biosécurité et de la préparation aux pandémies semblent avoir généralement amélioré la réduction des risques de poussées pandémiques plus limitées et plus probables. Il serait surprenant que, ce faisant, ils aient aussi amélioré le champ de la réduction des RBCM au point que la meilleure chose qu’on puisse faire pour réduire les RBCM soit simplement de développer ce domaine de recherches dans son ensemble.
Cela dit, comme les actions privilégiées par le domaine, y compris celles qui réduisent effectivement les RBCM, bénéficient déjà de soutiens importants, élargir ce domaine ou lui donner une plus grande efficacité pourrait dans certains cas être plus efficace. Par exemple, si l’on parvenait à augmenter de 1 % le financement et la main-d’œuvre de l’intégralité du domaine, l’impact serait certainement meilleur que celui d’un projet plus ciblé de réduction des RBCM.
D’ailleurs, Greg pense lui aussi qu’il est parfois préférable de compléter le portefeuille de la biosécurité existant par des travaux particulièrement utiles à la réduction des RBCM (mais également utiles à la lutte contre les menaces d’événements moins graves) plutôt que de cibler expressément la réduction des RBCM. Il semble donc que les arguments plaidant pour des actions ciblées aient leurs limites.
[14] La prévention de la prochaine pandémie potentielle inconnue est, bien entendu, un domaine de recherche existant. La pandémie de COVID-19 pourrait en augmenter ou en diminuer la visibilité. Tout dépend si suffisamment de personnes veulent chercher à éviter qu’une catastrophe telle que la COVID-19 (ou pire) ne se produise à l’avenir, ou si la grande majorité des gens donnent la priorité à la lutte contre la crise actuelle. La publication de cet article dans le New York Times Magazine semble indiquer que les efforts de prévention plus larges suscitent beaucoup d’intérêt.
[15] En règle générale, la fondation Open Philanthropy n’a pas pour objectif de financer une organisation à 100 %, car cela pourrait la rendre trop dépendante d’elle. Il est donc nécessaire que de petits donateurs complètent les financements qu’elle accorde.
[16] Open Philanthropy est la principale fondation que nous connaissons dont l’approche s’inspire de l’altruisme efficace en matière de dons. Pour en savoir plus sur sa philosophie et ses recherches, écoutez les interviews de membres actuels et d’anciens membres de l’équipe de recherche, ou consultez la base de données de ses subventions.
Compte tenu des capacités de recherche d’Open Philanthropy, il nous semble que l’un des meilleurs moyens de donner efficacement consiste tout simplement à compléter les subventions qu’elle accorde aux organisations qu’elle sélectionne. En savoir plus sur la méthodologie.
[17] Voici les principaux ouvrages (en anglais) recommandés par l’un de nos conseillers sur les RBCM. Ils semblent aussi dignes d’attention si la biosécurité vous intéresse : Germs: Biological Weapons and America’s Secret War [Les armes biologiques et la guerre secrète de l’Amérique]; Pandemic : Tracking Contagions, from Cholera to Ebola and Beyond [Pandémie : traquer la contagion, du choléra à Ebola et au-delà] ; Spillover : Animal Infections and the Next Pandemic [Contagion : les infections animales et la prochaine pandémie] ; The Pandemic Century: One Hundred Years of Panic, Hysteria, and Hubris [Le siècle des pandémies : cent ans de panique, d’hystérie et d’hybris]; The Viral Storm: The Dawn of a New Pandemic Age [La tempête virale : l’aube d’un nouvel âge pandémique]; et Deadliest Enemy : Our War Against Killer Germs [L’ennemi le plus mortel : notre guerre contre les microbes tueurs].