L’aquaculture ne résout pas la surpêche : elle en dépend

Thyl Moors
4/1/2024

La « perte bleue » correspond au nombre de poissons capturés chaque année, mais qui ne sont pas pris en compte dans la chaîne alimentaire humaine. Ce rapport estime la perte bleue à environ 1,2 billion.

Cet article est le résumé du rapport suivant : Borthwick, M., Gonzalez, T., & Redaro, C. (2021). “BLUE LOSS” Estimating How Many Aquatic Animals are Hidden in the Food System. Aquatic Life Institute. https://ali.fish/blue-loss

Il a été initialement publié en anglais sur Faunalytics : Aquaculture Doesn’t Solve ‘Overfishing’ — It Relies On It. Merci à Louise Verkin pour sa relecture.

La consommation d’animaux aquatiques est un problème négligé par rapport à la consommation d’animaux terrestres ou à la protection des animaux de compagnie. Pourtant, elle pose des problèmes éthiques considérables étant donné que les animaux aquatiques sont capables d’éprouver du plaisir et de la souffrance, et qu’ils sont capturés et tués par milliards chaque année ; l’estimation la plus récente faite par Fish Count se situe entre 790 et 2 300 milliards par an. Cette surpêche pose d’autres problèmes majeurs tels que la dégradation des écosystèmes marins, l’extinction d’espèces aquatiques et la mise en danger des populations humaines qui dépendent de la pêche. Il existe plusieurs solutions à la surpêche et l’aquaculture est souvent proposée comme l’une d’entre elles. 

Ce rapport de l’Aquatic Life Institute se concentre sur l’un des problèmes de l’élevage d’animaux aquatiques : la « perte bleue ». Ce concept désigne le nombre d’animaux aquatiques qui ne sont pas pris en compte dans la chaîne alimentaire humaine. Ils sont utilisés pour produire de la nourriture humaine, mais ne sont pas directement consommés par des humains. Certains peuvent être utilisés comme engrais ou pour nourrir des animaux terrestres, mais la plupart d’entre eux servent de nourriture à d’autres poissons tels que le saumon. Par exemple, ce rapport indique qu’un saumon a besoin de la biomasse de neuf harengs ou 120 anchois pour atteindre son poids de récolte. 

Pour estimer la perte bleue, les auteurs ont déterminé les différentes catégories auxquelles les poissons peuvent appartenir. Pour chaque catégorie, ils ont estimé le nombre d’individus concernés. Malheureusement, les données sur les poissons ne sont pas rapportées en nombre d’individus, mais en tonnes. Ainsi, pour estimer le nombre d’individus dans chaque catégorie, ils ont également dû déterminer les différentes espèces capturées, leurs proportions et leurs poids. Avec ces informations, ils sont parvenus à estimer le nombre de poissons ; la somme de tous les poissons de chaque catégorie correspond à la perte bleue. 

Pour en arriver là, ils ont utilisé les données les plus récentes de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), datant de 2018. Ils se sont également appuyés sur des études indépendantes pour obtenir des données ou des informations supplémentaires. 

Voici les différentes catégories impliquées dans le calcul de la perte bleue et le nombre estimé d’individus pour chacune d’entre elles : 

  • Poissons capturés pour être transformés en huile ou en farine de poisson : 662 milliards. 
  • Sous-produits de la consommation humaine utilisés comme aliments pour poissons : 38 milliards.
  • Poissons capturés, tués, mais rejetés en mer : 96 milliards.
  • Poissons utilisés comme aliments vivants : 487,6 milliards. 

Ces estimations sont faites au mieux à partir des données et études disponibles. La réalité pourrait être différente puisque les données sont initialement exprimées en tonnes et sont basées uniquement sur la pêche légale. Toutefois, elles nous donnent une bonne idée de l’ordre de grandeur et de l’étendue du problème. Pour ceux qui souhaitent avoir plus de détails sur la méthodologie et les calculs utilisés, ils sont très bien communiqués dans le rapport. 

Au total, le nombre de poissons capturés chaque année, mais non pris en compte dans la chaîne alimentaire humaine, s’élève à environ 1 200 milliards. Par rapport à l’estimation de Fish Count, ce nombre représente la moitié des poissons capturés, et la plupart d’entre eux servent à nourrir d’autres poissons. Cela montre que l'aquaculture n’est actuellement pas la solution à la surpêche, car elle dépend essentiellement de la pêche pour nourrir les animaux élevés. 

Quand quelqu’un mange un poisson, en particulier d’une espèce carnivore comme la truite ou le saumon, il ne se contente pas de manger un animal mort. En réalité, il mange indirectement tous les animaux précédemment mangés par ce poisson pour grandir, ce qui peut s’élever à des centaines de plus. Malheureusement, tous ces poissons partagent la même capacité à éprouver du plaisir et de la souffrance. Il s’agit là d’une information importante que la plupart des consommateurs ignorent sans doute.  

Pour réduire la perte bleue, les auteurs soulignent que des insectes pourraient être utilisés pour nourrir les poissons. Mais étant donné le poids moyen d’un insecte, il en faudrait plusieurs billiards (c’est un 1 suivi de 15 zéros), pour égaler le poids des poissons actuellement utilisés. Même si les insectes sont moins conscients, cela pourrait entraîner beaucoup plus de souffrance. Remplacer la pêche par l’élevage d'insectes est donc une mauvaise idée. 

Une autre solution envisagée par les auteurs est le développement d’un aliment pour poisson à base de plantes. Ils pensent qu'il s’agit d’une des meilleures solutions. Une action possible pour les individus et les organisations serait d’investir dans cette direction afin de créer un aliment ayant les mêmes qualités que ceux actuellement utilisés. Une telle alternative pourrait remplacer les poissons pêchés et sauver des milliards de vies.