Du souci des autres et du monde

Altruisme Efficace France
8/6/2023

Cet article est une traduction de On Caring par Nate Soares. Merci à Capucine Griot pour son aide sur l’édition de cette traduction.

1.

Je trouve difficile de ressentir les grands nombres. Passée la barre des 1 000 (et peut-être même des 100), ma seule impression, c’est que « ça fait beaucoup ».

Prenons Sirius, l’étoile la plus lumineuse de la voûte céleste. Si vous me disiez que Sirius fait la taille d’un million de Terres, je me dirais que ça fait beaucoup de Terres. Mais si vous me disiez plutôt que Sirius fait la taille d’un milliard de Terres… je me dirais toujours que cela fait beaucoup de Terres.

Les deux ressentis sont quasiment identiques. Dans le contexte de notre discussion, où l’on compare des millions et des milliards, mon cerveau finit par admettre qu’un milliard, c’est beaucoup plus qu’un million, et il veut bien faire l’effort de sentir qu’une étoile de la taille d’un milliard de Terres est encore beaucoup plus grande qu’une étoile d’un million de fois la taille de la Terre. Mais hors contexte, c’est-à-dire si je n’ai pas ce point de repère qu’est « million » quand j’entends « milliard », les deux nombres évoquent une vague sensation d’immensité.

Je suis un peu impressionné si vous me parlez de nombres vraiment, vraiment immenses. Si vous dites « un 1 suivi de 100 zéros », ça m’évoque quelque chose de bien supérieur à un milliard. Mais on ne peut pas dire que je ressente vraiment (physiquement) que c’est 10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 fois plus qu’un milliard. En tout cas pas comme on ressent qu’avoir quatre pommes dans l’estomac, c’est avoir deux fois plus que deux pommes. Mon cerveau ne peut même pas concevoir une telle différence d’ordre de grandeur.

Ce phénomène est lié à l’insensibilité à l’étendue, et si j’y accorde de l’importance, c’est parce que je vis dans un monde où les choses dont je me soucie existent parfois en très, très grand nombre.

Par exemple, des milliards de personnes vivent dans une extrême pauvreté (lien en anglais) et des centaines de millions d’entre elles ne peuvent satisfaire leurs besoins vitaux et/ou meurent de maladie. Et bien que je ne connaisse pas la plupart d’entre elles, je m’en soucie quand même.

La perte d’une vie humaine, avec toutes ses joies et ses peines, est tragique quelle qu’en soit la cause ; et le fait que ça se passe loin de chez moi, que je ne sois pas au courant, que je ne sache pas comment aider, ou que je n’en sois pas personnellement responsable ne diminue en rien cette tragédie.

Il en résulte que je me soucie de chaque être vivant sur cette planète. Le problème, c’est que mon cerveau est tout simplement incapable de multiplier par un milliard le souci que j’ai pour chacun de ces individus. Je n’ai pas la capacité interne de ressentir autant. Mon « soucimètre » ne monte pas aussi haut.

Et c’est un vrai problème.

2.

On a tous·tes déjà entendu que le courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur, c’est d’avoir peur et de faire ce qui doit être fait malgré tout. De la même manière, se soucier du monde, ce n’est pas éprouver la sensation correspondant à la quantité de souffrance qui existe dans le monde, c’est faire ce qui doit être fait, même si cette sensation fait défaut.

Mon « soucimètre » interne a été calibré pour environ cent cinquante personnes, et ne peut tout simplement pas exprimer la quantité de souci que j’éprouverais pour les milliards qui souffrent. Le soucimètre ne monte pas aussi haut.

L’humanité doit faire face à des enjeux d’une ampleur inimaginable. Il y a au minimum plusieurs milliards de personnes qui souffrent à cet instant même. Dans le pire des cas, l’existence de quadrillions d’humains, transhumains et post-humains potentiels dépend de ce que nous faisons ici et maintenant. Toutes les civilisations que l’avenir nous réserve, la vie, l’art et la beauté de demain, dépendent de notre présent.

Lorsque vous êtes confronté à de tels enjeux, vos heuristiques internes de sollicitude — calibrées pour des chiffres comme 10, 20, ou 150 au maximum — échouent complètement à appréhender la gravité de la situation.

Sauver la vie d’une personne procure une sensation formidable, et il est probable que ce que l’on ressent quand on sauve une vie soit aussi formidable que ce que l’on ressent quand on sauve le monde (lien en anglais). Sauver le monde ne provoquerait sans doute pas une sensation des milliards de fois plus forte que celle de sauver la vie d’une seule personne, tout simplement parce qu’on n’est pas équipé pour ressentir une telle sensation. Mais même si la sensation altruiste de sauver la vie d’une personne ressemble étrangement à celle de sauver le monde, souvenez-vous toujours que derrière ces sensations très similaires, il y a un monde de différence.

Nos sentiments de sollicitude sont tout à fait inadéquats pour décider de ce que nous devons faire dans un monde confronté à d’immenses problèmes.

3.

Quand j’ai commencé à intérioriser la question de l’insensibilité à l’étendue, ça a été une vraie révolution mentale pour moi. Comme c’est un peu difficile à exprimer, je vais commencer par quelques paraboles.

Prenons Alice, ingénieure informatique chez Amazon à Paris. Une fois par mois environ, elle croise dans la rue des étudiants qui brandissent des pancartes, l’air chaque fois un peu plus désabusés, se démenant pour convaincre les gens de faire un don à Médecins sans frontières. En général, Alice évite de croiser leur regard et poursuit son chemin, mais ce mois-ci, ils réussissent à la coincer. Ils lui présentent l’association et elle est bien forcée d’admettre qu’il s’agit d’une bonne cause. Elle finit par leur tendre 20 dollars, poussée par un mélange de culpabilité, de pression sociale et d’altruisme, et se dépêche de retourner au travail. (Le mois suivant, lorsqu’ils sont de retour, elle évite de croiser leur regard).

Maintenant, prenons le cas de Bob, qu’un ami Facebook a mis au défi de participer au Ice Bucket Challenge (défi du seau d’eau glacée). Il est trop occupé pour relever le défi, il déclare forfait et se contente de faire un don de 100 $ à l’association qui lutte contre la maladie de Charcot, l’ALSA (lien en anglais).

Prenons à présent Christine, qui fait partie de l’Association des Étudiantes contre le Cancer du Sein. L’Association des Étudiantes contre le Cancer du Sein s’est lancée dans une compétition avec l’Association Étudiante pour la Recherche Contre le Cancer du Sein (une autre association d’étudiantes) pour récolter en une semaine le plus d’argent possible pour la Ligue Contre le Cancer. Christine a l’esprit de compétition : elle s’engage dans la collecte de fonds et donne elle-même quelques centaines de dollars au cours de la semaine (surtout quand l’Association des Étudiantes contre le Cancer du Sein s’annonce perdante).

Ces trois personnes font toutes des dons à des organisations caritatives… et c’est une très bonne chose. Mais remarquez la similarité entre ces trois histoires : tous ces dons sont largement motivés par un contexte social. Alice se sent obligée de donner sous l’effet de la pression sociale. Bob ressent lui aussi cette pression sociale, et peut-être aussi un sentiment de camaraderie. Christine est poussée par la camaraderie et l’esprit de compétition. Ces motivations sont tout à fait recevables, mais remarquez qu’elles se rapportent au contexte social, et seulement de très loin à l’objet du don caritatif.

Si vous demandez à Alice, Bob ou Christine pourquoi ils ne consacrent pas tout leur temps et leur argent à ces causes qu’ils estiment de toute évidence justes, ils vous regarderont avec surprise et penseront probablement que vous êtes malpoli (à juste titre !). Si vous insistez, ils vous diront peut-être qu’ils sont un peu à court d’argent en ce moment, ou qu’ils donneraient plus s’ils étaient de meilleures personnes.

Mais votre question serait toujours quelque peu déplacée. Donner tout son argent, ça ne se fait pas, c’est tout. Nous pouvons dire que les gens qui donnent tout ce qu’ils ont sont formidables, mais dans notre for intérieur, nous savons tous qu’ils sont fous. (De bons fous, peut-être, mais fous tout de même).

Cet état d’esprit a été le mien pendant un certain temps. Mais il y a un autre état d’esprit qui peut s’imposer à vous en balayant tout sur son passage dès que vous commencez à intérioriser le principe d’insensibilité à l’étendue.

4.

Prenons Daniel, étudiant, juste après la marée noire causée par l’explosion de la plate-forme pétrolière BP Deepwater Horizon. Dans la rue, il rencontre l’un de ces bénévoles à prospectus qui sollicitent des dons pour le WWF. Ils essaient de sauver autant d’oiseaux mazoutés que possible. En temps normal, Daniel aurait ignoré l’association en se disant qu’elle n’est pas sa priorité, qu’elle ne mérite pas qu’il lui consacre du temps maintenant, ou que ce n’est pas son problème… mais cette fois-ci, Daniel se souvient que son cerveau n’est vraiment pas compétent en matière de chiffres et il décide de faire quelques rapides vérifications.

Il s’imagine marcher sur la plage après la marée noire et rencontrer un groupe de personnes qui nettoient les oiseaux aussi vite qu’elles le peuvent. Elles n’ont pas les ressources qu’il leur faudrait pour laver tous les oiseaux qui en ont besoin. Un oisillon malheureux titube vers lui, tout englué de pétrole, il arrive à peine à ouvrir les yeux. Daniel le ramasse et le pose sur la table. L’un des bénévoles l’informe qu’ils n’auront pas le temps de s’occuper de lui, mais que s’il enfile des gants, il pourra le laver en trois minutes — et sans doute lui sauver la vie.

Oiseau victime d’une marée noire en train d’être nettoyé

Daniel décide qu’il peut donner trois minutes de son temps pour sauver cet oiseau, et qu’il serait également ravi de payer au moins 3 euros pour que quelqu’un d’autre y consacre quelques minutes. Après introspection, il s’aperçoit que ce n’est pas la simple image d’un oiseau proche de lui qui lui donne envie de donner : il sent que quelque part, sauver un oiseau du mazout vaut bien trois minutes de son temps (ou 3 euros).

Et parce qu’il a déjà réfléchi à la question de l’insensibilité à l’étendue, il s’attend à ce que son cerveau se trompe sur la quantité de compassion qu’il peut ressentir pour un grand nombre d’oiseaux : on ne peut pas s’attendre à ce que sa sollicitude pour les oiseaux soit proportionnelle à la gravité réelle de la situation. Donc au lieu de simplement demander à son instinct à quel point il se préoccupe du démazoutage de tous ces oiseaux, il se tait et multiplie.

Des milliers et des milliers d’oiseaux ont été victimes de la marée noire de Deepwater Horizon. Au fil des multiplications, Daniel réalise avec une horreur grandissante que s’il quantifie son souci réel pour les oiseaux mazoutés, il aboutit à au moins deux mois de travail acharné et/ou 50 000 euros. Et cela, sans compter la faune/biodiversité menacée par d’autres marées noires.

Et s’il se soucie autant du démazoutage des oiseaux, comment quantifier la préoccupation que lui inspire l’élevage industriel, sans même parler de la faim dans le monde, ou de la pauvreté, ou de la maladie ? À quel point se soucie-t-il des guerres qui déchirent les nations ? Des enfants abandonnés, défavorisés ? De l’avenir de l’humanité ? Il se soucie réellement de tous ces problèmes à hauteur de bien plus d’argent et de temps qu’il n’en a.

Pour la première fois, Daniel prend la mesure de son souci du monde et du piteux état dans lequel celui-ci se trouve.

Étrangement, il revient alors au point de départ de son raisonnement et il réalise qu’il lui est impossible de se soucier des oiseaux mazoutés à hauteur de 3 minutes ou de 3 euros, non pas parce que les oiseaux ne vaudraient pas ce temps ou cet argent (à bien y réfléchir, la société produit beaucoup de choses qui coûtent 3 euros et qui valent moins que la survie d’un oiseau), mais parce qu’il ne peut pas dépenser son temps ou son argent à sauver des oiseaux. Le coût d’opportunité lui semble tout à coup bien trop élevé : il y a trop d’autres choses à faire ! Des personnes sont malades, meurent de faim ! L’avenir même de notre civilisation est en jeu !

Finalement, Daniel ne donne pas 50 000 euros au WWF, et il ne donne rien non plus à l’ALSA ou à la Ligue contre le Cancer. Mais si vous demandez à Daniel pourquoi il ne fait pas don de tout son argent, il ne vous regardera pas avec surprise et ne pensera pas non plus que vous êtes malpoli. Il a abandonné l’indifférence il y a longtemps et il a réalisé que son esprit lui ment en permanence sur la gravité de problèmes réels.

Maintenant, il se rend compte qu’il ne pourra jamais en faire assez. Après avoir pris en compte dans ses calculs l’insensibilité à l’étendue (et le fait que son cerveau lui ment sur la taille des grands nombres), même les causes « mineures » telles que le WWF lui semblent tout à coup mériter qu’on leur consacre une vie entière. La destruction de la biodiversité, la maladie de Charcot, le cancer du sein deviennent des problèmes pour lesquels il serait prêt à déplacer des montagnes — sauf qu’il a compris qu’il y a bien trop de montagnes, et donner ses revenus à l’ALS ne suffira pas à éradiquer tous les problèmes du monde, et… MAIS COMMENT TOUTES CES MONTAGNES SONT-ELLES APPARUES ?

Dans son état d’esprit antérieur, la raison pour laquelle il ne laissait pas tout tomber pour travailler sur la maladie de Charcot était que cela ne lui semblait pas assez… urgent. Ou assez facile à résoudre. Ou assez important. Quelque chose comme ça. Mais la vraie raison, surtout, est que l’idée de « tout laisser tomber pour lutter contre la maladie de Charcot » ne l’avait jamais effleuré comme une possibilité réellement envisageable. Cette idée était bien trop éloignée de notre mode de pensée habituel. Cela ne le concernait pas.

Dans son nouvel état d’esprit, tout le concerne. La seule raison pour laquelle il n’envoie pas tout balader pour lutter contre la maladie de Charcot, c’est qu’il y a bien trop d’autres choses à faire avant.

Alice, Bob et Christine ne passent généralement pas beaucoup de temps à résoudre tous les problèmes du monde car ils oublient de les voir. Si on les leur rappelle — en les plaçant dans un contexte social qui les incite à se souvenir du souci qu’ils ont des autres (de préférence sans culpabilité ni pression), alors ils donneront probablement un peu d’argent.

Daniel, lui, comme tous ceux qui ont accompli cette révolution mentale, ne passe pas son temps à résoudre tous les problèmes du monde parce qu’il y a tout simplement trop de problèmes. (Espérons que Daniel découvrira des mouvements tels que celui de l’altruisme efficace et commencera à participer à la lutte contre les problèmes les plus urgents à travers le monde).

5.

Je n’essaie pas de vous sermonner pour vous montrer ce qu’est une bonne personne. Vous n’avez pas besoin de partager mon point de vue pour en être une (évidemment).

J’essaie plutôt de mettre en évidence un changement de perspective. Beaucoup d’entre nous traversent l’existence en ayant conscience qu’ils devraient se soucier des gens qui souffrent loin de nous, mais sans parvenir à le faire. Je pense que cette attitude est liée, au moins en partie, au fait que la plupart d’entre nous font confiance, implicitement, à leur « soucimètre » intérieur.

Le sentiment de sollicitude n’est généralement pas assez fort pour qu’on se précipite pour sauver toutes les personnes mourantes. Et bien que nous reconnaissions qu’il serait vertueux de faire plus pour le monde, nous pensons que nous ne sommes pas capables le faire, parce que nous n’avons pas été dotés de cette extraordinaire faculté de compassion, cette ultra-compassion, que doivent avoir les authentiques altruistes.

Mais nous avons tort : les authentiques altruistes ne sont pas des personnes qui ont un meilleur « soucimètre », ce sont des personnes qui ont appris à ne pas se fier à leur « soucimètre ».

Nos « soucimètres » sont cassés. Ils ne fonctionnent pas sur les grands nombres. Personne n’en a un qui soit capable de représenter fidèlement l’étendue des problèmes du monde. Mais le fait que nous soyons incapables de ressentir ce souci des autres, cette sollicitude, ne signifie pas que nous sommes incapables d’agir dans le souci des autres.

Vous ne pourrez jamais ressentir jusque dans vos os la quantité appropriée de souci pour les autres et pour le monde. Désolé, mais les problèmes à l’échelle mondiale sont trop importants, et nos corps ne sont pas conçus pour réagir correctement à des problèmes d’une telle ampleur. Mais si vous le voulez, vous pouvez malgré tout choisir d’agir en fonction de la véritable gravité des problèmes mondiaux. Vous pouvez cesser de laisser vos sensations guider vos actions et passer en pilotage manuel.

6.

Évidemment, tout ça nous amène à une question : « c’est bien joli, mais qu’est-ce que je peux faire ? ».

Et je n’ai pas encore vraiment de réponse. (Je dirais quand même que Giving What We Can (lien en anglais), GiveWell (lien en anglais), MIRI (lien en anglais), et le Future of Humanity Institute (lien en anglais) sont un bon point de départ).

Il me semble qu’une partie au moins de cette réflexion émerge d’une forme de désespoir. Il ne suffit pas de penser que nous devons changer le monde — il faut aussi passer par ce désespoir qui surgit quand on réalise que si on le pouvait, on consacrerait sa vie à résoudre le 100e problème le plus urgent du monde, mais qu’on ne peut pas parce qu’il y en a 99 plus importants à traiter avant.

Je n’essaie pas de vous culpabiliser pour que vous donniez plus d’argent à des associations — devenir donateur régulier, c’est très, très difficile. (Si vous êtes déjà un donateur régulier, alors vous avez toute mon admiration et mon affection.) Premièrement, cela implique que vous ayez de l’argent, ce qui n’est pas courant, et deuxièmement, cela demande que vous dépensiez cet argent pour des causes lointaines et invisibles, ce qui n’est pas facile à faire accepter à un cerveau humain. L’acrasie est un formidable ennemi. Et la culpabilité n’est pas non plus une motivation efficace à long terme : si vous voulez rejoindre les rangs des personnes qui sauvent le monde, il vaut mieux le faire avec fierté. De nombreuses épreuves et péripéties nous attendent — autant les affronter la tête haute.

7.

Le courage, ce n’est pas ne pas avoir peur, c’est d’avoir peur et de faire ce qui doit être fait malgré tout.

De même, faire face aux problèmes majeurs de notre temps, ce n’est pas ressentir une puissante impulsion à les affronter. C’est agir malgré tout, même lorsque l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés dépasse de loin la force de notre impulsion instinctive.

On serait tenté de songer à des personnages exceptionnels — Gandhi, Mère Theresa, Nelson Mandela — et de conclure que le souci qu’ils avaient des autres était bien supérieur au nôtre. Mais je ne pense pas qu’il en soit ainsi.

Personne ne peut appréhender l’ampleur de ces problèmes. Nous pouvons tout au plus nous en approcher par des multiplications : trouver une cause qui nous importe, quantifier le problème, et multiplier. Il ne nous reste alors plus qu’à nous fier aux chiffres plutôt qu’à nos sensations.

Parce que nos sensations nous mentent.

Quand vous vous rappelez de multipliez, vous réalisez que lutter contre la pauvreté mondiale et construire un avenir meilleur mériteraient bien plus de ressources qu’il n’en existe aujourd’hui. Il n’y a pas assez d’argent, de temps ou de bonne volonté dans le monde pour faire ce qu’il y a à faire.

Il n’y a que vous, et moi, et toutes les personnes qui essaient malgré tout.

8.

On ne peut pas réellement ressentir le poids du monde. L’esprit humain n’en est pas capable.

Mais parfois, on peut l’entrevoir.